regarder quelque temps en haut. Je luy pris la mesure du visage, et de la main, puis la grosseur du col, et avec ceste mesure je mesuray depuis la ceinture en haut, et en fin luy regardant encor un coup les deux mains, je luy dis : Galathée, vous estes heureuse, si vous sçavez prendre vostre heur, et tres mal-heureuse, si vous le laissez eschapper, ou par nonchalance, ou par amour, ou par faute de courage. Mais à la verité, si vous ne vous rendez incapable du bien à quoy le Ciel vous a destinée, vous ne sçauriez par le desir attaindre à plus de felicité, et tout ce bien, ou tout ce mal, vous est preparé par l’amour. Advisez donc de prendre une belle et ferme resolution en vous-mesme, de ne vous laisser esbranler à persuasion d’amour, ny à conseil d’amie, ny à commandemens de parents. Que si vous ne le faites, je ne croy point qu’il y ait sous le Ciel rien de plus miserable que vous serez. – Mon Dieu, dit alors Galathée, vous m’estonnez. – Ne vous en estonnez point, luy dis-je, car ce que je vous en dis, n’est que pour vostre bien. Et afin que vous vous y puissiez conduire avec toute prudence, je vous en veux descouvrir tout ce que la divinité qui me l’a appris, me permet; mais ressouvenez-vous de le tenir si secret, que vous ne le disiez à personne.
Apres qu’elle me l’eust promis, je continuay de ceste sorte : Ma fille (car l’office auquel les dieux m’ont appellé, me permet de vous nommer ainsi) vous estes et serez servie de plusieurs grands chevaliers, dont les vertus et les merites peuvent diversement vous esmouvoir. Mais si vous mesurez vostre affection, ou à leurs merites, ou au jugement que vous ferez de leur amour, et non point à ce que je vous en diray, vous vous rendrez autant pleine de malheur qu’une personne hors de la grace des dieux le sçauroit estre. Car moy qui suis l’interprete de leur volonté, en la vous disant, je vous oste toute excuse de l’ignorer, si bien