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Tant de douleur va produisant.

Et pour vous faire paroistre que veritablement je sçay ces choses, par une divinité qui ne peut mentir, et de qui la veue, et l’ouye penetrent jusques dans le profond de cœurs, je vous veux dire une chose sur ce sujet, que personne ne peut sçavoir que vous et Agis.

Elle eut peur que je ne descouvrisse quelque secret qui la peust fascher ; aussi estoit-ce mon dessein de luy donner ceste apprehension. Cela fut cause qu’elle me dit toute troublée : Homme de Dieu, encor que je ne craigne pas que vous ou autre puissiez dire chose sur ce sujet, qui me doive importer, toutefois ce discours est si sensible, qu’il est bien mal-aisé d’y toucher d’une main si douce, que la blessure n’en cuise, c’est pourquoy je vous supplie de le finir.

Elle profera ces paroles avec un tel changement de visage, et d’une voix si interditte, que pour la r’asseurer, je fus contraint de luy dire : Vous ne devez me croire avec si peu de consideration, que je ne sçache celer ce qui pourroit vous offenser, ny que j’ignore que les moindres blessures sont bien fort sensibles en la partie où je vous touche, car c’est au cœur à qui toutes ces playes s’adressent. Mais puis que vous ne voulez pas en sçavoir d’avantage, je m’en tairay, aussi bien il est temps que je r’entre vers la divinité qui me rappelle.

Et en cest instant, je me levay, et leur donnay le bon jour. Puis apres avoir fait quelque apparence de ceremonies sur la riviere, je dy assez haut : O souveraine deité, qui presides en ce lieu, voicy que dedans ceste eau je me nettoye, et despouille de tout le profane que la pratique des hommes me peut avoir laissé, depuis que je suis sorty hors de ton sainct temple. A ce mot je donnay trois fois dans la bouche, et les yeux, et les mains tournées au ciel j’