Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/22

Cette page n’a pas encore été corrigée

la fertilité du rivage et leur douceur naturelle, vivent avec autant de bonne fortune, qu’ils recognoissent peu la fortune. Et croi qu’ils n’eussent deu envier le contentement du premier siecle, si Amour leur eust aussi bien permis de conserver leur felicité, que le Ciel leur en avoit esté veritablement prodigue. Mais endormis en leur repos ils se sousmirent à ce flatteur, qui tost apres changea son authorité en tyrannie.

Celadon fut un de ceux qui plus vivement la ressentirent, tellement espris des perfections d’Astrée, que la haine de leurs parents ne peut l’empescher de se perdre entierement en elle. Il est vray que si en la perte de soy mesme on peut faire quelque acquisition, dont on se doive contenter, il se peut dire heureux de s’estre perdu si à propos, pour gaigner la bonne volonte de la belle Astrée, qui asseurée de son amitié, ne voulut que l’ingratitude en fust le paiemens, mais plustost une reciproque affection avec laquelle elle recevoit son amitié et ses services. De sorte que si l’on veit depuis quelques changements entr’eux, il faut croire que le Ciel le permit, seulement pour faire paroistre que rien n’est constant que l’inconstance, durable mesme en son changement. Car ayant vescu bienheureux l’espace de trois ans, lors que moins ils craignoient le fascheux accident qui leur arriva, ils se virent poussez par la trahison de Semyre, aux plus profondes infortunes de l’amour ; d’autant que Celadon desireux de cacher son affection pour decevoir l’importunité de leurs parents, qui d’une haine entr’eux vieille interrompoient par toutes sortes d’artifices leurs desseins amoureux, s’efforr,oit de monstrer que la recherche qu’il faisoit de ceste bergere estoit plustost commune que particuliere.Ruse vrayement assez bonne, si Semyre ne l’eust point malicieusement desguisée, fondant sur ceste dissimulation la trahison dont il deceut Astrée, et qu’elle