vous l’avoit apportée. Ainsi je trompay le maistre, et remarquay ses habits le mieux qu’il me fut possible. Et lors que je fis semblant de le haster, il me respondit qu’il avoit assez de temps, puis que ce jour là mesme il avoit veu une lettre d’Amasis, dans l’assemblée de la ville, par laquelle elle leur ordonnoit de se tenir armez dans cinq semaines, parce qu’au jour qu’elle leur marquoit, elle vouloit faire son assemblée dans leur ville, à cause de la monstre generale que Lindamor et ses troupes faisoient pour aller trouver Clidaman, et que le lendemain elle vouloit que vous fussiez receu pour general de ceste contrée en son absence. Par ce moyen, je sceus le jour du despart de Lindamor, et de plus, que vous demeureriez en ce pays, qui fut un accident, qui vint tres à propos pour parachever nostre dessein, quoy que vous en eussiez esté desja bien adverty.
Suivant cela, je m’en allay retirer dans ce grand bois de Savignieu, où sur le bord de la petite riviere qui passe au travers, je fis une cabane de fueilles, mais si cachée que plusieurs eussent passé aupres sans la voir, et cela à fin que l’on creust que j’y avois demeuré longuement, car comme vous sçavez, personne ne me cognoissoit en ceste contrée. Et pour mieux monstrer qu’il y avoit long temps que j’y demeurois, les fueilles dont je couvris ceste loge, estoient desja toutes seiches, et puis je pris le grand miroir que j’avois fait faire, que je mis sur un autel, que j’entournay de houx, et d’espines, y mettant parmy quelques herbes, comme verveine, fougere, et autres semblables. Sur un des costez je mis du guy, que je disois estre de chesne, de l’autre la serpe d’or, dont je feignois l’avoir couppé le sixiesme de la premiere lune, et au milieu le linceul, où je l’avois cueilly. Et au dessus de tout cela, j’attachay le miroir le plus obscur, afin que mon artifice fust moins apperceu, et vis à vis par le dessus,