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parlant avec Silvandre ; mais aussi tost que le berger recogneut Astrée, il devint pasle, et si changé, que pour n’en donner cognoissance à Silvandre, il luy rompit compagnie, avec quelque mauvaise excuse. Mais, voulant eviter leur rencontre, Phillis luy alla couper chemin avec Diane, apres avoir dit à Astrée la mauvaise satisfaction que ce berger avoit d’elle. Et parce que Phillis ne vouloit point le prendre, l’ayant jusques là trop cherement conservé, quoy qu’il essayast de l’outrepasser promptement, si l’atteignit-elle, et luy dit en sousriant : Si vous fuyez de ceste sorte vos amies, que ferez-vous de vos ennemies ? Il respondit : La compagnie que vous cherissez tant, ne vous permet pas de retenir ce nom. – Celle, repliqua la bergere, de qui vous vous plaignez, souffre plus de peine de vous avoir offensé que vous mesme. – Ce n’est pas, respondit le berger, guerir la blesseure que de rompre le glaive qui l’a faite.

En mesme temps Astrée arriva, qui s’adressant à Lycidas, luy dit : Tant s’en faut, berger, que je die la hayne que vous me portez estre injuste, que j’advoue que vous ne me sçauriez autant haïr, que vous en avez d’occasion. Toutesfois, si la memoire de celuy qui est cause de ceste mauvaise satisfaction, vous est encor aussi vive en l’ame, qu’elle le sera jamais en la mienne, vous vous ressouviendrez que je suis la chose du monde, qu’il a plus aimée, et qu’il vous sieroit mal de me hayr, puis qu’encore il n’y a rien qu’il aime d’avantage que moy. Lycidas vouloit respondre, et peut-estre selon sa passion trop aigrement, mais Diane, luy mettant la main devant la bouche, luy dit : Lycidas, Lycidas, si vous ne recevez ceste satisfaction, autant que jusques icy vous avez eu de raison, autant serez vous blasmé pour estre deraisonnable. Astrée, sans s’arrester à ce que Diane disoit, luy osta