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que l’amour y peut graver. – Mauvaise bergere, repliqua mon Celadron, laissons ces raisons à part, ne me mesurez ny à l’aulne, ny au poids de nul autre, honorez moy de vos bonnes graces, et vous verrez si je ne les conserveray aussi cheres en on mame, et aussi longuement que ma vie. – Celadon, Celadon, adjousta Aminthe, vous seriez bien puny, si vos feintes devenoient veritables, et si le Ciel pour me venger, vous faisoit aimer ceste Aminthe, dont vous vous mocquez.

Jusques icy il n’y avoit rien, qui en quelque sorte ne fust supportable ; mais, ô dieux ! pour feindre, quelle fut la response qu’il luy fit ! Je prie Amour, luy dit-il, belle bergere, si je me mocque, qu’il fasse tomber la mocquerie sur moy, et si j’ay merité d’obtenir quelque grace de luy, qu’il me donne la punition dont vous me menacez. Aminthe ne pouvant juger l’intention de ses discours, ne luy respondit qu’avec un sousris, et avec une façon de la main, la luy passant et repassant devant les yeux, que j’interpretois en mon langage qu’elle ne le refuseroit pas si elle croyoit ses paroles veritables. Mais ce qui me toucha bien vivement, fut que Celadon, apres avoir esté quelque temps sans parler, jetta un grand souspir, qu’elle accompagna incontinent d’un autre. Et lors que le berger se releva pour luy parler, elle se mit la main sur les yeux, et rougit, comme presque ayant honte que ce souspir luy fust eschappé, qui fut cause que Celadon se remettant en sa premiere place, peu apres chanta ces vers.


SONNET
Qu’il cognoist qu’on feint de l’aimer.

Elle feint de m’aimer pleine de mignardise,
Souspirant apres moy, me voyant souspirer,
Et par de feintes pleurs tesmoigne d’endurer
L’ardeur que dans mon ame elle cognoist esprise.