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apres la perte de vostre amitié, à fin que seulement je vesquisse pour ressentir d’avantage mon desastre ? Et là tombant évanouy, il ne revint point plustost en soy-mesme que les plaintes en sa bouche ; et ce qui luy persuadoit plus aisément ce change, c’estoit que la lettre ne faisoit qu’approuver le bruit commun du mariage de Corebe, et de moy. Il demeura tout le jour sur un lict, sans vouloir parler à personne, et la nuict estant veneu, il se desroba de ses compagnons, et se mit dans les bois les plus reculez, fuyant la rencontre des hommes comme une beste sauvage, resolu de mourir loing de la compagnie des hommes, puis qu’ils estoient la cause de son ennuy.

En ceste resolution il courut toutes les montaignes de Forests, du costé de Cervieres, où en fin il choisit un lieu qui luy sembla le moins frequenté, avec dessein d’y parachever le reste de ses tristes jours. Le lieu s’appelloit Lapau, d’où sourdoit l’une des sources du desastreux Lignon, car l’autre vient des montaignes de Chalmasel.

Or sur les bords de ceste fontaine, il bastit une petite cabane, où il vesquit retiré plus de six mois, durant lesquels sa plus ordinaire nourriture estoit les pleurs, et les plaintes. Ce fut en ce temps qu’il fit ceste chanson.

Chanson de Celadon, sur le changement d’Astrée.


Il faudroit bien que la constance
M’eust derobé le sentiment,
Si je ne ressentois l’offence,
Que m’a fait vostre changement,
Et la ressentant si soudain
Je ne recourois au dedain.
 Vous m’avez dedaigné, parjure,
Pour un que vous n’aviez point veu,