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c’estoit par un bois, où en fin elle entrevit un peu de lumiere à travers le mouchoir, que tost apres ils luy osterent.

Et lors elle se trouva sous une tente de tapisserie, accommodée de telle façon que le vent n’y pouvoit entrer : d’un costé elle vid une jeune femme dans un lict de camp qui se plaignoit fort, et qui estoit masquée ; au pied du lict elle apperceut une femme qui avoit aussi le viage couvert, et qui à ses habits monstroit d’estre aagée, elle tenoit les mains jointes, et avoit les larmes aux yeux. De l’autre costé il y avoit une jeune fille de chambre masquée, avec un flambeau en la main ; au chevet du lict estoit panché cet honneste homme qu’elle avoit trouvé avec les chevaux, qui faisoit paroistre de ressentir infiniment le mal de ceste femme qui estoit appuyée contre son estomach. Et le jeune homme qui l’avoit portée en trousse, alloit d’un costé et d’autre pour donner ce qui estoit necessaire, y ayant sur une table au milieu de ceste tente, deux grands flambeaux allumez. Il est aisé à croire, que Lucine fut fort estonnée de se trouver en tel lieu. Toutesfois elle n’eut le loisir de demeurer long temps en cet estonnement ; car on eust jugé que ceste petite creature n’attendoit que l’arrivée de ceste femme pour venir au monde, tant la mere prit tost les douleurs de l’accouchement, qui ne luy durerent pas une demie heure sans delivrer d’une fille. Mais ce fut une diligence encore plus grande que celle dont on usa à debagager incontinent, et à mettre l’accouchée, et l’enfant dans une litiere, et à renvoyer Lucine apres l’avoir bien contentée, les yeux clos toutesfois, ainsi qu’elle estoit venue. Que si on se fust fié en elle, elle jure que jamais elle n’en eust parlé, mais qu’il luy sembloit que leur meffiance luy en donnoit congé ; et voilà tout ce que j’en ay peu sçavoir par Philandre.

Astrée et Phillis, qui avoient esté fort attentives à son discours, se regarderent