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de maladies sans les avoir eues, je diray, que s’il y a quelque chose en l’amitié, dont l’on doive faire estat, ce doit estre sans plus l’amitié mesme : car toute autre chose qui nous en plaist, ce n’est que pour estre jointe avec elle. Et par ainsi il n’y a rien qui puisse plus offenser celuy qui ayme, que de remarquer quelque deffaut d’amour, et ne point ressentir telles offenses, c’est veritablement avoir l’esprit ladre pour ceste passion. Et voulez- vous que je vous die ce qu’il me semble de l’amitié ? C’est une musique à plusieurs voix, qui bien unies rendent une tres- douce harmonie ; mais si l’une desaccorde, elle ne desplaist pas seulement, mais fait tout le plaisir qu’elles ont donné auparavant. – Par ainsi, dit Phillis, mauvaise Diane, vous voulez dire, que si on vous avoit servie longuement, la premiere offense effaceroit toute la memoire du passé. – Cela mesme, dit Diane, ou peu moins. – O Dieu, s’escria Phillis, que celuy qui vous aimera, n’aura pas œuvre faite ! – Celuy qui m’aimera, repliqua Diane, s’il veut que je l’aime, prendra garde de n’offenser mon amitié. Et croyez-moy, Phillis, qu’à ce coup vous avez plus fait d’injure à Lycidas, qu’il ne vous avoit auparavant offensée. – Donc, dit Phillis en sousriant, autresfois je disois que c’estoit l’amitié qui me l’avoit fait faire ; mais à ceste heure je dirois que c’estoit la vengeance, et aux plus curieux j’en diray la raison que vous m’avez apprise. – Ils jugeront, adjousta Diane, qu’autresfois vous avez sceu aimer, et qu’à ceste heure vous sçavez que c’est d’aimer. – Quoy que c’en soit, respondit Phillis, s’il y eust de la faute, elle proceda d’ignorance, et non point de deffaut d’amour, car je pensois y estre obligée ; mais s’il y retourne jamais, je me garderay bien d’y retomber. Et vous, Astrée, vous estes trop longuement muette, dites nous donc comme j’assistay à faire ceste