fortune luy fut arrivée, il me la vint raconter avec tant d’apparence de desplaisir, qu j’eus opinion qu’il se repentoit de sa faute. Et toutesfois il n’advint pas ainsi, car ceste bergere fit tant la folle, qu’elle en devint enceinte ; et lors qu’elle commençoit de ressentir, Phillis revint de son voyage. Et si je l’avois attendue avec beaucoup de peine, aussi la receus-je avec beaucoup de contentement ; mais comme on s’enquiert ordinairement le plutost de ce qui touche au cœur, Phillis, apres les deux ou trois premieres paroles, ne manqua de demander comme Lycidas se portoit, et comme il se gouvernoit avec Olimpe. Fort bien, luy respondis-je, et m’asseure qu’il ne tardera guere à vous en venir dire de nouvelles.
Je luy en tranchois le propos si court, de peur de luy dire quelque chose qui offensast Lycidas, qui de son costé n’estoit pas sans peine, ne sçachant comme aborder sa bergere. En fin il se resolut de souffrir toutes choses plustost que d’estre banny de sa veue, et s’en vint la trouver en son logis, où il sçavoit que j’estois. Soudain que Phillis le vid, elle courut à luy les bras ouverts pour le saluer ; mais s’estant un peu reculé, il luy dit : Belle Phillis, je n’ay point assez de hardiesse pour m’approcher de vous, si vous ne me pardonnez la faute que je vous ay faite. La bergere [ayant opinion qu’il s’excusoit de ne luy estre venu au devant, comme il avoit accoustumé] luy respondit : Il n’y a rien qui me puisse retarder de saluer Lycidas, et quand il m’auroit offensée beaucoup d’avantage, je luy pardonne toutes choses. A ce mot elle s’avança, et le salua avec beaucoup d’affection ; mais il y eut du plaisir quand elle l’eut ramené à moy, et qu’il me pria de declarer son erreur à sa maistresse, afin de sçavoir promptement à quoy elle le condamneroit : Non pas, dit-il, que le regret de l’avoir offensée ne m’accompagne au cerceuil, mais