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croyez que le gain que vous avez fait, le divertissant de mon amitié, ne peut estre de plus longue durée que jusques à ce qu’il se presente un autre objet, encor que je sçache bien que vos perfections ont tant de puissance, que si ce n’estoit un coeur tout de plume, vous le pourriez arrester. – Phillis, luy repliquay-je, la preuve rend tesmoignage que vous estes une flatteuse, quand vous parlez ainsi des perfections qui sont en moy, puis que m’ayant desrobé Celadon, il faut qu’elles soient bien foibles, ne l’ayant peu retenir apres l’avoir pris. Celadon se jettant à genoux devant moy : Ce n’est pas, me dit-il, pour mespriser les merites de Phillis, mais je proteste bien devant tous les dieux, qu’elle n’alluma jamais la moindre estincelle d’amour dans mon ame, et que je supporteroy avec moins de desespoir l’offence que vous feriez contre moy en changeant, que non point celle que vous faites contre mon affection en me blasmant d’inconstance.

Il ne sert à rien, sage Diane, de particulariser tous nos discours, car ils seroient trop longs, et vous pourroient ennuyer ; tant y a qu’avant que nous separer nous fusmes tellement remis en nostre bon sens, ainsi le faut-il dire, que nous recogneusmes le peu de raison qu’il y avoit de nous soupçonner les uns les autres. Et toutesfois nous avions bien à louer le Ciel, que nous nous fissions ceste declaration tous quatre ensemble, puis que je ne crois pas qu’autrement il eust esté possible de desraciner cette erreur de nostre ame ; et, quant à moy, je vous asseure bien que rien n’eust peu me faire entendre raison, si Celadon ne m’eust parlé de ceste sorte devant Phillis mesme.

Or depuis ce temps nous allasmes un peu plus retenus que de coustume. Mais au sortir de ce travail je rentray en un autre qui n’estoit guere moindre, car nous ne peusmes si bien dissimuler, qu’Alcippe qui y