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mes juges, et devant mes parties. Et lors qu’il vouloit continuer, Lycidas l’interrompit disant qu’il estoit en une peine qui n’estoit en grandeur guere differente de la sienne. – En grandeur ? dit Celadon, il est impossible, car la mienne est extreme. – Et la mienne, repliqua Lycidas, est sans comparaison.

Cependant que nos bergers parloient ensemble, je me tournay vers Phillis, et luy dis : Vous verrez, ma soeur, que ces bergers se veulent plaindre de nous. A quoy elle me respondit, que nous avions bien plus d’occasion de nous plaindre d’eux. Mais encore, luy dis-je, que j’en aye beaucoup de me douloir de Celadon, toutesfois j’en ai encor d’avantage de vous, qui sous tiltre de l’amitié que vous feignez de me porter, l’avez distrait de celle qu’il me faisoit paroistre, de sorte que je puis dire, que vous me l’avez desrobé. Et parce que Phillis demeura si confuse de mes propos, qu’elle ne sçavoit que me respondre, Celadon s’adressant à moy, me dit : Ah ! belle bergere, mais volage comme belle, est-ce ainsi que vous avez perdu la memoire des services de Celadon et de vos serments ? Je ne me plains pas tant de Lycidas, encor qu’il ait manqué au devoir de la proximité et de l’amitié qui est entre nous, comme je me deuls de vous à vous mesme, sçachant bien que le desir que vos perfections produisent dans un coeur, peut bien faire oublier toute sorte de service. Mais est-il possible qu’un si long service que le mien, une si absolue puissance que celle que vous avez tousjours eue sur moy, et une si entiere affection que la mienne, n’ait peu arrester l’inconstance de vostre ame ? ou bien si encore tout ce qui vient de moy est trop peu pour le pouvoir, comment est-ce que vostre foy si souvent jurée, et les dieux si souvent pris pour tesmoins, ne vous ont peu empescher de faire devant mes yeux une nouvelle election ? En mesme temps Lycidas prenant la belle main de Phillis, apres un grand souspir,