pour nous y assembler, sans que personne nous vist ; que si quelqu’un nous rencontroit en y allant, nous feignions de passer chemin, et afin que l’un ny l’autre n’y allast point vainement, nous mettions dés le matin quelque brisée au pied, pour marque que nous avions à nous dire quelque chose. Il est vray que pour estre trop pres du chemin, pour peu que nostre voix haussast, nous pouvions estre ouys de ceux qui alloient et venoient ; et cela estoit cause que d’ordinaire nous laissions ou Phillis, ou Lycidas en garde, qui d’aussi loing qu’ils voyoient approcher quelqu’un, toussoient pour nous en advertir. Et parce que nous avions coustume de nous escrire tous les jours, pour estre quelquefois empeschez, et ne pouvoir venir en ce lieu, nous avions choisi le long de ce petit ruisseau, qui costoye la grande allée, un vieux saule mymangé de vieillesse, dans le creux duquel nous mettions tous les jours des lettres, et afin de pouvoir plus aisément faire response, nous y laissions ordinairement une escritoire.
Bref, sage Diane, nous nous tournions de tous les costez qu’il nous estoit possible, pour nous tenir cachez. Et mesme nous avions pris une telle coustume de ne nous parler point, Celadon et moy, ny Lycidas et Phillis, qu’il y en eut plusieurs qui creurent que Celadon eust changé de volonté. Et parce qu’au contraire aussi tost qu’il voyoit Phillis, il l’alloit entretenir, et elle luy faisoit toute la bonne chere qu’il luy estoit possible, et moy de mesme, toutes les fois que Lycidas arrivoit, je rompois compagnie à tout autre pour parler à luy, il advint que par succession de temps Celadon mesme eut opinion que j’aymois Lycidas, et moy je creus qu’il aymoit Phillis, et Phillis pensa que Lycidas m’aymoit, et Lycidas eut opinion que Phillis aymoit Celadon. De sorte que nous nous trouvasmes, sans y penser, tellement embrouillez de ces opinions, que la jalousie