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moy, que nous peusmes ouyr ceste declaration, et la response aussi que Phillis luy fit, qui à la verité fut plus rude que je ne l’eusse pas attendu d’elle ; car dés long temps auparavant, elle, et moy avions fort bien recogneu aux yeux et aux actions de Lycidas, qu’il l’aimoit, et en avions souvent discouru, et je l’avois plustost trouvée de bonne volonté envers luy qu’autrement.

Toutesfois à ce coup, elle luy respondit avec tant d’aigreur, que Lycidas s’en alla comme desesperé, et Celadon qui aimoit son frere plus que l’ordinaire, ne pouvant souffrir de le voir traitter de ceste sorte, et ne sçachant à qui s’en prendre, s’en faschoit presque contre moy, dont au commencement je ne peus m’empescher de sousrire, et en fin je luy dis : Ne vous ennuyez point, Celadon, de ceste response, car nous y sommes presque obligées, puis que les bergers de ce temps, pour la plus part se plaisent beaucoup plus de faire croire à chacun qu’ils ont plusierus bonnes fortunes, que presque de les avoir vrayement, ayant opinion que la gloire d’un berger s’augmente par la diminution de nostre honneur. Et à fin que vous sçachiez que je cognois bien l’humeur de Phillis, je prends la charge de mettre Lycidas en ses bonnes graces, pouveu qu’il continue, et qu’il ait un peu de patience. Mais il faut advouer, que quand j’en parlay la premiere fois à ceste bergere, elle me renvoya si loin, que je ne sçavois presque qu’en esperer, si bien que je me resolus de la gagner avec le temps ; mais Lycidas qui n’avoit point de patience, fit dessein plusieurs fois de ne l’aimer plus, et en ce temps il alloit chantant d’ordinaire tels vers.

Stances

Sur une resolution de ne plus aimer.

 

Quand je vy ces beaux yeux nos superbes vainqueurs,
Soudain je m’y sousmis comme aux roys de nos cœurs,