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contentement d’en user ainsi, et que s’il n’y sçavoit point d’autre remede, il falloit qu’en cela il se servist de l’imagination, et que parlant aux autres, il se figurast que c’estoit à moy. Helas ! le pauvre berger avoit bien raison d’en faire tant de difficulté, car il prevoyoit trop veritablement que de là procederoit la cause de sa mort. Excusez, sage Diane, si mes pleurs interrompent mon discours, puis que j’en ay tant de sujet, que ce seroit impieté de me les interdire.

Et apres s’estre essuyé les yeux, elle reprit son discours ainsi : Et parce que Phillis estoit d’ordinaire avec moy, ce fut à elle qu’il s’adressa premierement, mais avec tant de contrainte, que je ne pouvois quelquesfois m’empescher d’en rire, et d’autant que Phillis croyoit que ce fust à bon escient, et qu’elle traittoit envers luy comme on a de coustume d’user envers ceux qui commencent une recherche, je me souviens que s’en voyant assez rudement traitté, il chantoit fort souvent ceste chanson, qu’il avoit faite sur ce sujet.

Chanson


Dessus les bords d’une fontaine
D’humide mousse revestus,
Dont l’onde à maints replis tortus,
S’alloit esgarant par la plaine,
Un berger se mirant en l’eau,
Chantoit ces vers au chalumeau :
Cessez un jour, cessez, la belle,
Avant ma mort d’estre cruelle.
Se peut-il qu’un si grand supplice,
Que pour vous je souffre en aimant,
Si les dieux sont dieux de justice,
Soit en fin souffert vainement ?
Peut-il estre qu’une amitié
N’esmeuve jamais