entr’ouverts pour voir ce qu’il deviendroit, et certes il ne manqua point de faire ce que j’avois pensé ; car s’approchant doucement de moy il se vint mettre à genoux le plus pres qu’il peut, et apres avoir demeuré long temps en cet estat, lors que je faisois semblant d’estre le plus assoupie, pour luy donner plus de hardiesse, je sentis qu’apres plusieurs souspirs, il se baissa doucement contre ma bouche, et me baisa.
Alors me semblant qu’il avoit bien assez pris de courage, j’ouvris les yeux, comme m’estant esveillée quand il m’avoit touchée, et me relevant, je luy dis feignant d’estre en colere : Mal appris berger, qui vous a rendu si outrecuidé, que de venir interrompre mon sommeil de ceste sorte ? Luy alors tout tremblant, et sans lever les genoux : C’est vous, belle bergere, dit-il, qui m’y avez contraint, et si j’ay failly, vous en devez punir vos perfections qui en sont cause. – Ce sont toujours là, luy dis-je, les excuses de vos outrecuidances ; mais si vous continuez à m’offenser ainsi, croyez, berger, que je ne le supporteray pas. – Si vous appelez offense, me respondit-il, d’estre aymée et adorée, commencez de bonne heure à chercher le chastiment que vous me voulez donner, car dés icy je vous jure, que je vous offenseray de ceste sorte toute ma vie, et qu’il n’y a ny rigueur de vostre cruauté, ny inimitié de nos peres, ny empeschement de l’univers ensemble, qui me puisse divertir de ce dessein.
Mais, belle Diane, il faut que j’abbrege ces agreables discours, estans si peu convenables en la maison desastrée où je suis, et vous diray seulement qu’en fin estant vaincue, je luy dis : Mais quoy, berger, quelle fin aura vostre dessein, puis que ceux qui vous peuvent rendre tel qu’il leur plaist, le desapprouvent ? – Comment, me repliqua-t’il incontint, rendre tel qu’il leur plaist ? tant s’en faut qu’Alcippe ait ceste puissance sur ma volonté, que je ne l’ay pas moy-mesme. – Vous pouvez, luy respondis-je, vous dispenser de vous, à vostre gré, mais non pas de l’obeissance que vous devez à vostre