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peu de courage, car il est tout vray que sa beauté, son courage, et son affection me plaisoient : Et afin qu’il ne peust me respondre, je me tournay pour parler à Stelle qui estoit pres de moy. Luy tout estonné de ceste response, se retira de l’assemblée, si triste, qu’en peu de jours il devint presque mescognoissable et si particulier, qu’il ne hantoit plus que les lieux plus retirez et sauvages de nos bois. Dequoy estant advertie par quelques unes de mes compagnes, qui m’en parloient sans penser que j’en fusse la cause, je commençay d’en ressentir de la peine, et resolus en moy-mesme de chercher quelque moyen de luy donner un peu plus de satisfaction. Et parce, comme je vous ay dit, qu’il s’esloignoit de toute sorte de compagnie, je fus contrainte pour le rencontrer, de conduire mes troupeaux du costé où je sceus qu’il se retiroit le plus souvent, et apres y avoir esté en vain deux ou trois fois, en fin un jour, ainsi que je l’allois cherchant, il me sembla d’entr’ouyr sa voix entre quelques arbres, et je ne fus point trompée, car, m’aprochant doucement, je le veis couché en terre de son long, et les yeux tous moites de larmes, si tendus contre le ciel, qu’ils sembloient immobiles.

La veue que j’en eus, me trouvant toute disposée, m’esmeut tellement à pitié, que je me resolus de ne le laisser plus en semblable peine. C’est pourquoy, apres l’avoir quelque temps consideré, et ne voulant point luy faire paroistre, que je le voulusse rechercher, je me retiray assez loin de là, où, faisant semblant de ne prendre garde à luy, je me mis à chanter si haut, que ma voix parvint jusques à ses aureilles. Aussi tost qu’il m’ouyt, je veis qu’il se releva en sursaut, et tournant les yeux du costé où j’estois, il demeura comme ravy à m’escouter, à quoy ayant pris garde, à fin de luy donner commodité de m’approcher, je fis semblant de dormir, et toutesfois je tenois les yeux