Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/159

Cette page n’a pas encore été corrigée

trop long, apres avoir fort peu entretenu Malthée, voyant que je n’y allois point, m’appella paresseuse. En fin ne pouvant plus dilayer, j’y fus contrainte, mais, mon Dieu ! quand je m’en souviens, je meurs encor de honte : j’avois les cheveux espars, qui me couvroient presque toute, sur lesquels pour tout ornement je n’avois que la guirlande que le jour au paravant il m’avoit donnée. Quand les autres furent retirées, et qu’il me vid en cest estat aupres de luy, je pris bien garde qu’il changea deux ou trois fois de couleur, mais je n’en eusse jamais soupçonné la cause ; de mon costé la honte m’avoit teint la joue d’une si vive couleur, qu’il m’a juré depuis ne m’avoir jamais veue si belle, et eust bien voulu qu’il luy eust esté permis de demeurer tout le jour en ceste contemplation. Mais craignant d’estre découvert, il fut contraint d’abreger son contentement, et voyant que je ne luy disois rien, car la honte me tenoit la langue liée : Et quoy, Astrée, me dit-il, croyez-vous vostre cause tant avantageuse, que vous n’ayez besoin comme les autres, de vous rendre vostre juge affectionné ? – Je ne doute point, Orithie, luy respondis-je, que je n’aye plus de besoin de seduire mon juge par mes paroles, que Stelle ny Malthée ; mais je sçay bien aussi que je leur cede autant en la persuasion qu’en la beauté. De sorte que n’eust esté la contrainte à quoy la coustume m’a obligée, je ne fusse jamais venue devant vous pour esperance de gagner le prix. – Et si vous l’emportez, respondit le berger, qu’est-ce que vous ferez pour moy ? – Je vous en auray, luy dis-je, d’autant plus d’obligation, que je croy le meriter moins. – Et quoy, me repliqua-t’il, vous ne me faites point d’autre offre ? – Il faut, luy dis-je, que la demande vienne de vous, car je ne vous en sçaurois faire, qui meritast d’estre receue. – Jurez moy, me dit le berger,