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de la premiere partie d’Aſtrée.

de me ſervir, & ſembla qu’à ceſtre premiere veuü nous fuſſions l’un & l’autre ſur le point qu’il nous falloit aimer : puis qu’auſſi-toſt qu’on me dit que c’eſtoit le fils d’Alcippe, je reſſentis un certain changement en moy, qui n’eſtoit pas ordinaire, et deslors toutes ſes actions commencerent à me plaire & à me ſembler beaucoup plus agreables que de tous ces autres jeune bergers de ſon aage ; & parce qu’il n’oſoit encores s’aprocher de moy, & que la parole luy eſtoit interdite, ſes regards, par leurs allees & venuës, me parlerent ſi ſouvent, qu’enfin je recogneus qu’il avoit envie de m’en dire d’avantage, & de fait, en un bal qui ſe tenoit au pied de la montagne ſous des vieux ormes, qui rendent un agreable ombrage, il uſa de tant d’artifice, que ſans m’en prendre garde, & monſtrant que c’eſtoit par meſgarde, il ſe trouva au deſſous de ma main. Quant à moy, je ne fis point ſemblant de le cognoiſtre, & traittois avec luy, comme avec tous les autres. Luy au contraire en me prenant la main, baiſſa la teſte, de ſorte que faiſant ſemblant de baiſer ſa main, je ſentis ſur la mienne ſa bouche : cét acte me fit monter la rougeur au viſage, & feignant de n’y prendre garde, je tournay la teſte de l’autre coſté, comme attentive au branle que nous danſions. Cela fut cauſe qu’il demeura quelque temps ſans parler à moy, ne sçachant, comme je crois, par où il devoit commencer : enfin, ne voulant perdre ceſte occaſion qu’il avoit ſi long-temps recherchée, il s’avança devant moy, & parla à l’oreille de Corilas, qui me conduiſoit à ce bal, ſi haut (feignant touteſois de le dire bas) que j’ouys tels mots : Pleuſt à Dieu, Corilas, que la querelle des peres de ceſte bergere, & de moy, euſt à ſe demeſler entre nous deux : & lors il ſe retira en ſa place, & Corilas luy reſpondit aſſez haut : Ne faites point ce ſouhait, Celadon : car peut-eſtre ne ſouhaitterez vous jamais rien