conceut une haine si grande contre luy, qu’aussi tost qu’elle l’apperceut, se mettant la main sur les yeux, pour ne le voir, elle pria Phillis de luy dire de sa part, qu’il ne se presentast jamais à elle. Et ces paroles furent proférées avec un certain changement de visage, et d’une si grande vehemence, que ses compagnes y recogneurent bien une tres-grande animosité, qui fit avancer plus promptement Phillis vers le berger. Quand il ouyt ce message, il demeura tellement confus en sa pensée, qu’il sembloit estre immobile. En fin vaincu et contraint par la cognoissance de son erreur, il luy dit : Discrette Phillis, j’advoue que le ciel est juste, de me donner plus d’ennuy qu’un coeur n’est capable de supporter, puis qu’encor ne peut-il esgaler son chastiment à mon offence, ayant esté cause de faire rompre la plus belle et la plus entiere amitié qui ait jamais esté. Mais afin que les Dieux ne me punissent point plus rigoureusement, dites à ceste belle bergere, que je demande pardon, et à elle et aux cendres de Celadon, l’asseurant que l’extreme affection que je luy ay portée, a sans plus esté la cause de ceste faute, que loin d’elle et de ses yeux, à bon droict courroucez, j’iray plaignant toute ma vie. A ce mot il s’en alla tant desolé que son repentir toucha Phillis de quelque pitié. Et estant revenue vers ses compagnes, leur redit ce que le berger avoit respondu. Helas ! ma soeur, dit Astrée, j’ay plus d’occasion de fuyr ce meschant, que je n’ay pas de pleurer ; jugez par là, si je le dois faire : c’est luy sans plus qui est cause de tout mon ennuy. – Comment, ma soeur, dit-elle, de vostre ennuy ? A-t’il tant de puissance sur vous ? Si j’osois vous raconter sa meschanceté, dit Astrée, et mon imprudence, vous diriez qu’il a usé de plus grand artifice, que l’esprit le plus cauteleux sçauroit jamais inventer. Diane qui recogneut que c’estoit à son occasion
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