la plus mal-heureuse personne de la terre ; vous semble-t’il qu’ayant tant de preuves de la verité de ses predictions, je doive mespriser celle-ci, qui me touche si fort ? Et c’est pourquoy je trouvois si mauvais que Leonide eust esté si mal advisée, que de marcher sur mes pas, luy en ayant fait ceste mesme declaration. – Madame, respondit Silvie, n’entrez nullement en ceste doute, car en verité, je ne vous ments point, et me semble que vous ne devez la dépiter d’avantage, de peur qu’en se plaignant elle ne descouvre ce dessein à quelque autre. – M’amie, respondit Galathée en l’embrassant, je ne doute point de ce dont vous m’avez asseurée, et vous promets, que je me conduiray envers Leonide, ainsi que vous m’avez conseillée.
Cependant qu’elles discouroient ainsi, Leonide alla retrouver Celadon, auquel elle raconta de mot à mot les propos que Galathée et elle avoient eus sur son suject, et qu’il pouvoit se resoudre, que le lieu où il estoit, avoit apparence d’une libre demeure, mais que veritablement c’estoit une prison. Ce qui le toucha si vivement, qu’au lieu que son mal n’alloit que trainant, il devint si violent, que le soir mesme la fievre le reprit, si ardante, que Galathée l’estant allé voir, et le trouvant si fort empiré, entra fort en doute de sa vie, et plus encore, quand le lendemain son mal se rendant tousjours plus grand, il leur evanouit deux ou trois fois entre les bras. Et quoy que ces nymphes ne l’esloignassent jamais de plus loin que l’une au chevet, et l’autre aux pieds de son lict, sans prendre autre repos, que celuy, que par des sommeils interrompus, le sommeil extreme leur alloit quelquefois dérobant, si est-ce qu’il estoit tres-mal secouru, n’y ayant en ce lieu aucune commodité pour un malade, et n’osant en faire venir d’ailleurs, de peur d’estre descouvertes. Si bien que le berger courut une grande fortune de sa vie, et