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moy, parce qu’il a la voix fort agreable, et que je le priay de chanter, il dit tels vers :

Chanson sur un désir


Quel est ce mal qui me travaille,
Et ne veut me donner loisir
De trouver remede qui vaille?
Hélas ! c’est un ardant desir,
Qui comme un feu tousjours aspire

Au lieu plus haut et mal-aisé :
Car le bien que plus je desire,
C’est celuy qui m’est refusé.

Ce desir eut dés sa naissance
Et pour sa mere et pour sa sœur,
Une temeraire esperance,
Qui presque le fit possesseur ;
Mais comme le cœur d’une femme
N’est pas en amour arresté,
Le desir me demeure en l’ame,
Bien que l’espoir m’en soit osté.

Mais si l’esperance est esteinte,
Pourquoy, desir, t’efforces-tu
De faire une plus grande atteinte?
C’est que tu nays de la vertu,
Et comme elle est tousjours plus forte,
Et sans faveurs et sans appas,
Quoy que l’esperance soit morte,
Desir, pourtant tu ne meurs pas.

Il n’eust point si tost achevé, que Silvie reprit aussi : Hé ! dites moy, Ligdamon, puis que je ne suis pas cause de vostre mal, pourquoy vous en prenez-vous à moy ? C’est vostre desir que vous devez accuser, car c’est luy qui vous travaille vainement. Le passionné