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fut ainsi disposé, Clidaman et Guyemants partirent si secrettement, qu’Amasis ny Silvie n’en sceurent rien, qu’ils ne fussent desja bien loing. Ils allerent trouver Meroüée et Childeric, car on nous a dit depuis, que se voyants également traitez de l’amour, ils voulurent essayer, si les armes leur seroient également favorables.

Ainsi, gentil berger, nous avons perdu la commodité de ceste fontaine, qui découvroit si bien les cachettes des pensées trompeuses, que si tous eussent été comme Ligdamon, ils ne nous l’eussent pas fait perdre ; car lors que je sceus que Clidaman et Guyemants s’y en alloit, je luy conseillay d’estre le tiens, m’as- seurent qu’il seroit le plus fovorisé. Mais il me fit une telle response : Belle Leonide, je conseilleray tousjours à ceux qui sont en doute de leur bien, ou de leur mal, qu’ils hazardent quelquesfois d’en sçavoir la verité ; mais ne seroit-ce folie à celuy qui n’a jamais peu concevoir aucune esperance de ce qu’il desire, de rechercher une plus seure cognoissance de son desastre ? Quant à moy, je ne suis point en doute, si la belle Silvie m’aime, ou non, je n’en suis que trop asseuré, et quand je voudray en sçavoir d’avantage, je ne le demanderay jamais qu’à ses yeux, et à ses actions. Depuis ce temps là son affection est allée croissant, tout ainsi que le feu où l’on met du bois ; car c’est le propre de la pratique, de rendre ce qui plaist plus agreable, et ce qui ennuye plus ennuyeux, et Dieu sçait, comme ceste cruelle l’a tousjours traité. Le moment est á venir, auquel elle l’a jamais voulu voir sans desdain, ou cruauté ; et ne sçay, quant à moi, comme un homme genereux a eu tant de patience, puis qu’en verité les offenses qu’elle luy a faites, tiennent plustost de l’outrage que de la rigueur.

Un jour qu’il la rencontra qu’elle s’alloit promener seule avec