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en elle ; et ainsi representant vostre esprit vous verriez Silvie, et voyant Silvie changée, comme je vous ay dit, par cet amour, vous vous y verriez aussi.

Clidaman estoit demeuré fort attentif à ce discours, et considerant que la conclusion estoit une asseurance de ce qu’il craignoit le plus, de colere mettant l’espée à la main, en frappa deux ou trois coups de toute sa force sur la marbre de la fontaine ; mais son espée ayant au commencement resisté, en fin se rompit par le milieu, sans laisser presque marque de ses corps. Et parce qu’il estoit resolu en toute façon de rompre la pierre, imitant en cela le chien en colere, qui mord le caillou que l’on luy a jetté, le druyde luy fit entendre qu’il se travailloit en vain, d’autant que cet enchantement ne pouvoit prendre finnpar force, mais par extremité d’amour ; que toutesfois, s’il vouloit le rendre inutile, il en sçavoit le moyen.

Clidaman nourrissoit pour rareté dans de grandes cages de fer, deux lyons, et deux licornes, qu’il faisoit bien souvent combattre contre diverses sortes d’animaux. Or ce druyde les luy demanda pour gardes de ceste fontaine, et les enchanta de sorte, qu’encor qu’ils fussent mis en liberté, ils ne pouvoit abandonner l’entrée de la grotte, sinon quand ils alloient chercher à vivre, car en ce temps-là, il n’y en demeuroit que deux. Et depuis n’ont fait mal à personne qu’à ceux qui ont voulu essayer la fontaine ; mais ils assaillent ceux-là avec tant de fuire, qu’il n’y a point d’apparence que l’on s’y hazarde, car les lyons sont si garands et affreux, ont lesongles si longs et si tranchans, sont si legers et adroits, et si animez à ceste deffense, qu’ils font des effets incroyables. D’autre costé les licornes ont la corne si pointure et si fort, qu’elles perceroient un rocher, et heurtent avec tant de force et de vitesse, qu’il n’y a personne qui les puisse éviter. Aussi tost que ceste garde