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bonne opinion de soy mesme, qu’il n’eust voulu ceder à personne du monde, respondit, addressant sa parole à Amasis : Madame, on veut que je soit point serviteur de la belle Silvie. Ceux qui le requierent sçavent peu d’amour, autrement ils ne penseroit oas que vostre ordonnance, ny celle de tous les dieux ensemble, fust assez forte pour divertir de cours d’unne affection ; c’est pourquoy je declare ouvertement, que si on me deffend ce qui m’a desja esté permis, je seray desobeissant, et rebelle, et n’y a devoir ny consideration qui me fasse changer. Et lors se tournant vers Clidaman : Je sçay le respect que je vous doy, mais je ressens aussi le pouvoir qu’amour a sur moy. Si le destin vous a donné à Silvie, sa beauté est celle qui m’a acquis : jugez lequel des deux dons luy doit estre plus agreable. Cidaman vouloit répondre, quand Amasis luy dit : Mon fils, vous auriez raison de vous douloir, si on alteroit nos ordonnances, mais on ne les intereese nullement ; il vous a esté commandé de servir Silvie, et non pas deffendu aux autres. Les senteurs rendent plus d’odeur, eatant esmeues ; un amant aussi, ayant un rival, rend plus de tesmoignages de ses merites.

Ainsi ordonna Amasis. Et voilà Silvie bien servie ; car Guyemants n’oublioit chose que son affection lui commandast, et Clidaman, à l’envi, s’estudioit de paroistre encor plus soigneux. Mais sur tout Ligdamon la servoit avec tant de discretion, et de respect, que le plus souvent il ne l’osoit aborder, pour ne donner cognoissance aux autres de son affection ; et à mon gré son service estoit bien autant aymable que nul les autres, mais certes une fois il faillit de perdre patience. Il advint qu’amasis se trouva entre les mains une éguille faite en façon d’espée, dont Silvie avoit accoustumé de se reveler, et accommoder le poil, et voyant Clidaman assez pres d’elle, elle la luy