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luy ay faite envers son homicide, et luy presenter ce que dans sa derniere volonté il a laissé par escrit, et à fin que je me puisse dire aussi juste observateur de ma parole, que son affection a esté inviolable. Mais soudain que je me suis presenté devant vous, et que j’ay voulu ouvrir la bouche pour accuser ceste meutriere, j’ay recogneu si veritables les paroles de mon frere, que non seulement j’excuse sa mort, mais encore j’en desire, et requiers une semblable. Ce sera donc, Madame, avec vostre permission, que je paracheveray.

Et lors, faisant une grande reverence à Amasis, il choisit entre nous Silvie, et mettant un genouil en terre, il luy dit : Belle meurtiere, encor que sur ce beau sein il tombast une larme de pitié à la nouvell de la mort d’une personne qui vous estoit tant acquise, vous ne laisseriez d’en avoir aussi entiere, et honorable victoire. Toutesfois si vous jugez qu’à tant de flammes, que vous aviez allumées en luy, si peu d’eau ne seroit pas grand allegement, recevez pour le moins l’ardant baiser qu’il vous envoye, ou plustost son ame changée en ce baiser, qu’il remet en ceste belle main, riche à la verité des despouilles de plusieurs autres libertez, mais de nulle plus entiere que la sienne.

A ce mot il luy baisa la main, et puis continua ainsi, apres s’estre relevé : Entre les papiers où Aristandre avoit mis sa derniere volonté nous avons trouvé cestuy-cy, et parce qu’il est cacheté de la façon que vous voyez, et qu’il s’adresse à vous, je le vous apporte avec la protestation, que par son testament il me commande de vous faire, avant que vous l’ouvriez. Que si vostre volonté n’est de luy accorder la requeste qu’il vous y fait, il vous supplie de ne la lire point, afin qu’en sa mort, comme en sa vie, il ne ressente les traits de vostre cruauté. Lors il luy presenta une lettre que Silvie troublée