de la maudire ; ce que mon frere oyant, et son affection estant encore plus forte que son mal, il s’efforça de me parler ainsi : Mon frere, si vous ne voulez estre mon plus grand ennemy, cessez, je vous prie, ces imprecations, qui ne peuvent que m’estre plus desagreables, que mon mal mesure. J’esliroy plustost de n’estre point, que si elles avoyent effect, et estant inutiles, que profitez-vous, sinon de me témoigner combien vous hayssez ce que j’ayme ? Je sçay bien que ma perte vous ennuye, et en cela je ressens plus nostre separation que ma fin. Mais puis que tout homme est nay pour mourir, pourquoy avec moy ne remerciez-vous le Ciel, qui m’a esleu la plus belle mort, et plus belle meurtriere qu’autre ayt jamais eue ? L’extremité de mon affection, et l’extremité de la vertu de Silvie, sont les armes desquelles sa beauté s’est servie, pour me mettre au cercueil ; et pourquoy me plaignez-vous, et voulez-vous mal à celle à qui je veux plus de bien qu’à mon ame ? Je croy qu’il vouloit dire d’avantage, mais la force luy manqua. Et moy, plus baigné de pleurs de pitié, que contre Attila je n’avois jamais esté mouillé de sueur sous mes armes, ny mes armes n’avoient esté teintes de sang sur moy, je luy responds : Mon frere, celle qui vous ravit aux vostres, est la plus injuste qui fut jamais. Et si elle est belle, les dieux mesme ont usé d’injustice en elle, car ou ils luy devoyent changer le visage, ou le cœur.
Alors Aristandre, ayant repris d’avantage de force, me repliqua : Pour Dieu, Guyemants, ne blasphemez plus de ceste sorte, et croyez que Silvie a le cœur si respondant au visage, que comme l’un est plein de beauté, l’autre aussi l’est de vertu. Que si pour l’aimer je meurs, ne vous en estonnez, pource que si l’œil ne peut sans esblouissement soustenir les esclairs d’un soleil sans