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heure il m’est permis de le nommer ainsi] qu’estant nourri avec Clidaman, il vid la belle Silvie, mais la voyant, il vid sa mort aussi, n’ayant depuis vescu que comme se trainant au cercueil. D’en dire la cause je ne sçaurois, car estant avec Childeric, je n’en sceu autre chose sinon quemon frere estoit à l’extremité. Encor que j’eusse tous les contentement qui se peuvent, comme estant bien veu de mon maistre, aimé de mes compagnons, chery, et honoré generalement de tous, pour une certaine bonne opinion que l’on avoit conceue de moy aux affaires qui s’estoient présentées, qui peut-estre m’avoit plus r’apporté entre eux d’authorité et de credit, que mon aage, et ma capacité ne meritoyent. Si ne peus-je. sçachant la maladie de mon frere, m’arrester plus long temps pres de Childeric ; au contraire, prenant congé de luy, et luy promettant de retournerbien tost, je m’en revins avec la haste que requeroit mon amitié. Soudain que je fus arrivé chez luy, plusieurs luy coururent dire que Guyemants estoit venu, car c’est ainsi que l’on m’appelle ; son amitié luy donna assez de force, pour se relever sur le lict, et m’embrasser de la plus entiere affection, que jamais un frere serra l’autre entre les bras.

Il ne serviroit, madame, que de vous ennuyer, et me reblesser encor plus vivement, de vous raconter les choses que nostre amitié fit entre nous. Tant y a que deux ou trois jours apres, mon frere fut reduit à telle extremité, qu’à peine avoit-il la force de respirer, et toutesfois ce cruel amour l’adonnoit tousjours plustost aux souspirs, qu’à la necessité qu’il en avoit pour respirer, et parmy ses plus cuisants regrets, on n’oyoit que le nom de Silvie. Moy à qui le déplaisir de sa mort estoit si violent, que rien n’estoit assez fort pour me le faire dissimuler, je voulois tant de mal à ceste Silvie incogneue, que je ne pouvoit m’empescher