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fait esperer de pouvoir obtenir de vous quelque vengeance de sa mort contre son homicide ; mais dés que je suis entré dans ce temple, j’en ay perdu toute esperance, jugeant que si le desir de vengeance mouroit en moy qui suis le frere de l’offensé, qu’à plus forte raison se perdroit-elle en vous, madame, en qui la compassion du mort, et le service qu’il vous avoit voué, en peuvent sans plus faire naistre quelque volonté. Toutesfois, parce que je voy les armes de l’homicide de mon frere, preparées desja contre moy, non point pour fuyr telle mort, mais pour en advertir les autres, je vous dirai le plus briefvement qu’il me sera possible, la fortune de celuy que je regrette.

Encore, madame, que je n’aye l’honneur d’estre cogneu de vous, je m’asseure toutesfois qu’au nom frere, qui n’a jamais vescu qu’a vostre service, vous me recognoistrez pour vostre tres-humble serviteur. Il s’appeloit Aristandre, et sommes tous deux fils de ce grand Cleomir, qui pour vostre service visita si souvent le Tibre, le Rin, et le Danube. Et d’autant que j’estoy le plus jeune, il peut y avoir neuf ans, qu’aussitost qu’il me vid capablede porter les armes, il m’envoya en l’armée de ce grand Meroüée, la delice des hommes, et le plus agreable prince qui vint jamais en Gaule. De dire pourquoy mon pere m’envoya plutost vers Meroüée, que vers Thierry le roy des Visigots, ou vers celuy des Bourguignons, il me seroit mal-aisé, toutesfois j’ay opinion que ce fut, pour ne me faire servir un prince si proche de vos estats, que la fortune pourroit rendre vostre ennemy. Tant y a que la rencontre pour moy fut telle, que Childeric son fils, prince belliqueux, et de grande esperance, me voyant presque de son aage, me voulut plus particulierement favoriser de son amitié que tout autre. Quand j’arrivay pres de luy, c’estoit sur le poinct que ce grand et