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aima, et servit tousjours depuis sans nulle autre apparence d’espoir, que celle que je vous ay dicte, jusques à ce que Clidaman fut esleupar la fortune pour la servir ; alors certes il faillit bien à perdre toute resolution, et n’eust esté qu’il sceut par moy, qu’il n’estoit pas mieux traitté, je ne sçay quel l fust devenu. Toutesfois, encor que cela le consolast un peu, la grandeur de son rival luy donnoit plus de jalousie. Il me souvient qu’une fois il me fit une telle response, sur ce que je luy disoit, qu’il ne devoit se monstrer tant en peine pour Clidaman. Belle nymphe, me respondit-il, je vous diray librement d’où mon souci procede, et puis juger si j’ay tort. Il y a desja si long-temps que j’espreuve Silvie ne pouvoir estre esmeue, ny par fidelité d’affection, ny par extremité d’amour, que c’est sans doute qu’elle ne peut estre blessée de ce costé-là. Toutesfois, comme j’ay appris du sage Adamas, vostre oncle, toute personne est sujette à une certeine force, dont elle ne peut eviter l’attrait, quand une fois elle en est touchée. Et quelle puis-je penser, que puisse estre celle de ceste belle, si ce n’est la grandeur et la puissance ? et ainsi si je crains, c’est la fortune, et non les merites de Clidaman ; sa grandeur, et non point son affection. Mais certes en cela il avoit ; car ny l’amour de Ligdamon, ny la grandeur de Clidaman n’esmeurent jamais une seule estincelle de bonne volonté en Silvie. Et je ne croy point qu’Amour ne la garde pour exemple aux autres, la voulant punir de tant de desdains, par quelque moyen inaccoustumé. Or en ce mesme temps il advint un grand tesmoignage de sa beauté, ou pour le moins de la force qu’elle a à se faire aymer.

C’estoit le jour tant celebre, que tous les ans nous chommons, le sixiesme de la lune de juillet, et qu’Amasis a accoustumé de faire ce solennel sacrifice, tant