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vous point, que celuy qui aiguise un fer entre les mains d’un furieux, est en partie coupable du mal qu’il en fait ? et pourquoy ne le serez-vous pas, puis que ceste beauté, que le Ciel à votre naissance vous a donnée, a esté par vous si curieusement aiguisée avec tant de vertus, et aimables perfections, qu’il n’y a œil qui sans estre blessé les puisse voir ? et vous ne serez pas blasmée des meurtres que vostre cruauté en fera ? Voyez vous, Silvie, il ne falloit pas que vous fussiez moins belle, ni moyns remplie des perfections, mais vous deviez vous estudier autant à vous faire bonne, que vous estiez belle, et à mettre autantde douceur en vostre ame, que le Ciel vous en avoit mis au visage ; mais le mal est que vos yeux pour mieux blesser l’ont toute prise, et n’ont laissé en elle que rigueur et cruauté.

Or, gentil berger, ce qui me faisoit tant affectionner la deffense de Ligdamon estoit, qu’outre que nous estions un peu alliés, encor estoit-il fort aimé de toutes celles qui le cognoissoient, et j’avoie sceu qu’il estoit reduit à fort mauvais terme. Doncques, apresquelques semblables propos, j’ouvris la lettre, et la leus tout haut, afin qu’elle l’entendist. Mais elle n’en fit jamais un seul clin d’œil, ce que je trouvay fort estrange, et previs bien, que si je n’usois d’une tres-grande force, à peine tirerois-je jamais d’elle quelquebon remede pour mon malade ; ce qui me fit resoudre de luy dire du premier coup, qu’en toute façon je ne voulois point que Ligdamon se perdist. Voyez, ma sœur, me dit-elle, puis que vous estes si pitoyable, guerissez-le. – Ce n’est pas de moy, respondis-je, dont sa guerison despend ; mais je vous asseure bien, si vous continuez envers luy, comme vous avez fait par le passé, que je vous en feray avoir du desplaisir, car je feray qu’Amasis le sçaura, et n’y aura une seule de nos compagns, à qui je ne le die. – Vous seriez bien assez