mourir, et me taire, dites aussi que vos yeux devoient avoir moins absolue puissance sur moy ; car, si à la premiere semonce, que leur beauté m’en fit, je ne peus me deffendre de leur donner mon ame, comment en ayant esté si souvent requis, eussé-je refusé la recognoissance de ce don ? Que si toutesfois j’ay offensé en offrant mon cœur à vostre beauté, je veux bien pour la faute que j’ay commise de presenter à tant de merites chose de si peu de valeur, vous sacrifier encore ma vie, sans regretter la perte de l’un ny de l’autre, que d’autant qu’ils ne vous sont agreables.
Cette lettre fut portée à Silvie lors qu’elle estoit seule dans sa chambre. Il est vrai que j’y arrivay en mesme temps, et certes à la bonne heure pour Ligdamon ; car voyez quelle est l’humeur de ceste belle nymphe : elle avoit pris un si grand despit contre luy, depuis qu’il luy avoit découvert son affection, que seulement elle n’effaça pas le souvenir de son amitié passé, mais en perdit tellement la volonté, que Ligdamon luy estoit comme chose indifferente, si bien que, quand elle oyoit que chacun desesperoit de sa guerison, elle ne s’en esmouvoit non plus que si elle ne l’eust jamais veu. Moy qui plus particulierement y prenoit garde, je ne sçavois qu’en juger, sinon que sa jeunesse lui faisoit ainsi aisément perdre l’amitié des personnes absentes ; mais à ceste fois que je luy veis refuser ce qu’on luy donnoit de sa part, je cogneus bien qu’il y devoit avoir entr’eux du mauvais mesnage. Cela fut cause que je pris la lettre qu’elle avoir refusée, et que le jeune garçon, qui l’avoit apportée par le commandement de son maistre, avoit laissée sur la table. Elle alors, moins fine qu’elle ne vouloit pas estre, me courut apres, et me pria de ne la point lire. Je la veux voir, dis-je, quand ce ne seroit que pour la defense que vous m’en faites. Elle rougit alors, et me dit : non, ne la lisez point, ma sœur, obligez moy de cela, je vous en conjure