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en cela ; de l’oser nommer, quelle excuse couvriroit l’ouverture que je ferais de ma temerité ? – Celle, respondit incontinent Silvie, de l’amitié que vous me portez. – Vrayement, repliqua Ligdamon, j’auray donc celle-là, et celle de vostre commandement, que je vous supplie avoir ensemble devant les yeux pour ma descharge, et ce miroir qui vous fera voir ce que vous desirez sçavoir. A ce mot il prend celuy qu’elle portoit à sa ceinture, et le luy mit devant les yeux.

Pensez quelle fut sa surprise, recognoissant incontinent ce qu’il vouloit dire ; et elle m’a depuis juré qu’elle croyoit au commencement que ce fut de Galathée, de qui il vouloit parler. Cependant qu’il demeuroit ravy à la considerer, elle demeura ravie à se considerer en sa simplicité, en colere contre luy, mais beaucoup plus contre elle-mesme voyant bien qu’elle luy avoit tiré par force ceste declaration de sa bouche. Toutesfois son courage altier ne permis pas qu’elle fit longue deffense, pour la justice de Ligdamon ; car tout à coup elle se leva, et sans parler à luy, partit pleine de despit que quelqu’un l’osast aimer. Orgueilleuse beauté qui ne juge rien digne de soy ! Le fidele Ligdamon demeura, mais sans ame, et comme une statue insensible. En fin revenant à soy, il se conduisit le mieux qu’il peut en son logis, d’où il ne partit de long temps, parce que la cognoissance qu’il eut du peu d’amitié de Silvie, le toucha si vivement qu’il tomba malade ; de sorte que personne le luy esperoit plus de vie, quand il se resolut de luy escrire une telle lettre :

Lettre de Ligdamon a Silvie

La perte de ma vie n’eust eu assez de force pour vous descouvrir la temerité de vostre serviteur, sans vostre exprés commandement. Si toutesfois vous jugez que je devois