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peu renommé en Europe, t’ayant esleu le Forests, petite contrée, et peu conneue parmy les Gaules, responds leur, ma bergere, que c’est le lieu de ta naissance, que ce nom de Forests sonne je ne sçay quoy de champestre, et que le pays est tellement composé, et mesme le long de la riviere de Lignon, qu’il semble qu’il convie chacun à y vouloir passer une vie semblable. Mais qu’outre toutes ces considerations encor j’ay juge qu’il valoit mieux que j’honorasse ce pays où ceux dont je suis descendu, depuis leur sortie de Suobe, ont vescu si honorablement par tant de siecles, que non point une Arcadie comme le Sannazare. Car n’eust esté Hesiode, Homere, Pindare, et ces autres grands personnages de la Grece, le mont de Parnasse, ny l’eau d’Hippocrene, ne seroient pas plus estimez maintenant, que notre Mont d’Isoure, ou l’onde de Lignon. Nous devons cela au lieu de nostre naissance et de nostre demeure, de le rendre le plus honore et renomme qu’il nous est possible.

Que si l’on te reproche que tu ne parles pas le langage des villageois, et que toy ny ta trouppe ne sentez gueres les brebis ny les chevres, responds leur, ma bergere, que pour peu qu’ils ayent cognoissance de toy, ils sçauront que tu n’es pas, ny celles aussi qui te suivent, de ces bergeres necessiteuses, qui pour gagner leur vie conduisent les trouppeaux aux pastufages, mais que vous n’avez toutes pris cette condition, que pour vivre plus doucement et sans contrainte. Que si vos conceptions et paroles estoient veritablement telles que celles des bergers ordinaires, ils auroient aussi peu de plaisir de vous escouter, que vous auriez beaucoup de honte à les redire. Et qu’outre cela, la pluspart de la trouppe est remplie d’Amour, qui dans l’Aminte fait bien paroistre qu’il change et le langage et ]es conceptions, quand il dit :

Queste selve hoggi raggionar d’Amore
Sudranno in nova guisa, é ben parrassi
Che la mia deitá sia qui presente