n’en eut jamais cognoissance qu’elle mesme ne l’y forçast. Depuis qu’il fut attaint à bon escient, et qu’il recogneut son mal, il jugea bien incontinent le peu d’espoir qu’il y avoit de guerison, une seule des humeurs de Silvie ne luy pouvant estre cachée. Si bien que la joye et la gaillardise qui estoient en son visage, et en toutes ses actions, se changerent en tristesse, et sa tristesse en si pesante melancolie, qu’il n’y avoit celuy qui ne recogneust ce changement. Silvie ne fut pas des dernieres à luy demander la cause, mais elle n’en peut tirer que des responses interrompues. En fin voyant qu’il continuoit en ceste façon de vivre, un jour qu’elle commençoit desja à se plaindre de son peu d’amitié, et à luy reprocher qu’elle l’obligeoit à ne luy rien celer, elle ouyt qu’il ne peut si bien se contraindre, qu’un tres-ardent souspir ne luy eschappast au lieu de response. Ce qui la fit entrer en opinion qu’amour peut-estre estoit la cause de son mal.
Et voyés, si le pauvre Ligdamon conduisoit discrettement ses actions, puis qu’elle ne se peut jamais imaginer d’en estre la cause. Je croy bien que l’humeur da la nymphe, qui ne panchoit point du tout à ce dessein, en pouvoit estre en partie l’occasion. Car mal-aisément pensons-nous à une chose esloignée de nostre intention ; mais encor falloit-il qu’en cela sa prudence fut grande et sa froideur aussi, puis qu’elle couvroit du tout l’ardeur de son affection. Elle donc plus qu’auparavant le presse ; que si c’est amour, elle luy promet toute l’assistance, et tous les bons offices qui se peuvent esperer de son amitié. Plus il luy en fait de refus, et plus elle desire de le sçavoir ; en fin ne pouvant se deffendre d’avantage, il luy advoua que c’estoit amour, mais qu’il avoit fait serment de n’en dire jamais le sujet. Car, disoit-il, de l’aimer, mon outrecuidance certes est grande, mais forcée par tant de beautez, qu’elle est excusable