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de ces incommoditez ; car vous vous faites tant de tort, si vous continuez, que je ne sçay, si vous l’effacerez jamais. Pensez-vous, encor que vous croyez estre icy bien secrette, que l’on ne vienne à sçavoir ceste vie ? et que sera-ce de vous, si elle se descouvre ? Le jugement ne vous manqua jamais au reste de vos actions, est-il possible qu’en cest accident il vous deffaille ? Que jugeriez-vous d’une autre qui meneroit telle vie ? Vous respondrez que vous ne faites point de mal. Ah ! Madame, il ne suffit pas à une personne de vostre qualité, d’estre exempte du crime, il faut l’estre aussi du blasme. Si c’estoit un homme qui fust digne de vous, je le patienterois ; mais encor que Celadon soit des premiers de ceste contrée, c’est toutesfois un berger, et qui n’est recogneu pour autre. Et ceste vaine opinion de bon heur, ou de mal heur, pourra-t’elle tant sur vous, qu’elle vous abatte de sorte le courage, que vous vueillez égaler ces gardeurs de brebis, ces rustiques, et ces demy-sauvages à vous ? Pour Dieu, Madame, revenez en vous-mesme, et considerez l’intention dont je profere ces paroles.

Elle eust continué, n’eust esté que Galathée toute en colere l’interrompit : Je vous ay dit que je ne voulois point que vous me tinssiez ces discours, je sçay à quoy j’en suis resolue, quand je vous en demanderay advis, donnez le moy, et une fois pour toutes, ne m’en parler plus, si vous ne voulez me déplaire. A ce mot elle se tourna de l’autre costé, en telle furie, que Leonide cogneut bien qu’elle l’avoit fort offensée. Aussi n’y a-t’il rien qui touche plus vivement, qu’opposer l’honneur à l’amour : car toutes les raisons d’amour demeurent vaincues, et l’amour toutesfois demeure tousjours en la volonté le plus fort.

Peu apres Galathée se tourna, et luy dit : Je n’ay point creu jusques icy, que vous eussiez opinion d’estre ma gouvernante, mais à ceste heure je commence d’avoir