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UNE LETTRE D’ÉLIE RECLUS


Élie Reclus qui vient de mourir à l’âge de 77 ans, à Bruxelles, où il professait l’ethnographie à l’Université Libre, était le théoricien anarchiste de la famille. À maintes reprises, il avait élevé la voix en faveur des propagandistes par le fait, notamment, en 1880, en faveur d’Hartmann, arrêté le 15 février, aux Champs-Élysées, à la demande de l’ambassade russe, par ordre de M. Andrieux, Préfet de police, qui n’en avait même pas avisé le gouvernement.

Hartmann était inculpé de complicité dans un attentat commis sur la ligne de Pétersbourg à Moscou.

Évadé de la prison de Kiev, où il avait été interné pour sa propagande, Hartmann, racontait un journal anglais, avait été désigné par le comité nihiliste de Saint-Pétersbourg pour « exécuter » le Czar. À cet effet, il serait revenu à Moscou, y aurait loué une maison distante de quarante mètres de la voie ferrée ; avec quelques complices, 11 aurait relié sa cave à la voie par une galerie, posé des fils, une mine sous les rails, et, au moment où passait un train signalé comme emportant l’empereur, fait jouer la batterie. Le train fut mis en miettes. Mais le Czar ne s’y trouvait pas. Il en avait pris un autre, à quelques milles de Moscou, afin de dépister les nihilistes.

L’ambassade russe, prévoyant le rôle que la politique pourrait avoir dans l’affaire, s’était bien gardée de parler, dans sa demande d’extradition, d’attentat contre la vie du Czar. Elle inculpait simplement Hartmann d’un attentat contre la vie des voyageurs du train, à l’aide d’explosifs, crime prévu par l’article 1802 du Code pénal russe et puni par l’article 1453 du même Code.

Pendant que le garde des sceaux, M. Cazot, faisait instruire l’affaire, une grande agitation se produisait. La presse d’opposition mettait en demeure le gouvernement de refuser l’extradition. Les étudiants, tumultueusement réunis, s’associaient à sa campagne. Victor Hugo adressait au Président du Conseil une lettre qui se terminait par ces mots : « Vous ne livrerez pas cet homme ! » M. Engelhard, membre du Conseil municipal de Paris et avocat d’Hartmann, faisait tenir au garde des sceaux un long mémoire. Enfin, le 20 février, Élie Reclus écrivait à M. Cazot la lettre dont on trouvera plus loin l’autographe. Le grand jurisconsulte qu’est M. Cazot ne pouvait se déterminer que par des considérations juridiques. Il négligea les articles, les résolutions votées dans les clubs, les cla-