Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/488

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’art qui était encore incapable d’exprimer les passions par les seuls traits du visage. En effet avec les progrès de la peinture, ces figures de démons deviennent plus rares et disparaissent entièrement ; dans les peintures campaniennes et sur beaucoup de bas-reliefs, Médée, Oreste et Lycurgue sont représentés comme l’Héraclès de notre tableau ; c’est dans leur âme que la passion est entrée ; c’est là qu’elle exerce ses ravages, attestés par l’altération de la physionomie et la violence du geste ; mais elle ne se montre point à côté d’eux, sous les traits d’une divinité infernale ; elle n’existe pas en dehors d’eux. L’art de la décadence (et probablement aussi l’art alexandrin, à en juger par les peintures campaniennes) dédouble quelquefois le personnage, il l’assiste d’un génie ; mais se conformant à ses tendances il choisit, pour les personnifier, des sentiments aimables ou tendres qui permettent l’introduction dans le tableau de figures gracieuses. Sans doute c’est là un acheminement à l’emploi des figures, comme la Lyssa, et si le peintre l’eût représentée, dans un tableau d’Héraclès furieux, nous n’en aurions témoigné aucune surprise ; mais il n’y a pas lieu de s’étonner non plus qu’il ne l’ait pas fait. En somme il a été plus fidèle à l’esprit de son époque en l’omettant qu’il ne l’eût été en l’admettant.

Pour nous résumer, le peintre, empruntant son sujet à la pièce d’Euripide, s’est conformé au récit du poète ; rien de plus naturel, et l’on ne saurait voir là un motif pour douter de l’authenticité de la peinture ; cette exactitude d’ailleurs n’est pas rigoureuse ; quelques détails ont été ajoutés ; d’autres ont été modifiés ; mais ces additions et ces changements n’ont rien que de conforme aux lois de la peinture et aux habitudes de l’art antique[1].



XXIV

Thiodamas.


Si cet homme est de mœurs sauvages, sauvage aussi est la contrée ; car je reconnais l’île de Rhodes et le territoire de Lindos, le plus rocailleux de l’île ; la vigne et le figuier y poussent heureusement, mais le labour n’y réussit point et les chemins manquent pour les chariots. Ce vieillard, encore vert, au visage sombre, est un laboureur, Thiodamas de Lindos, dont tu n’es pas sans avoir entendu parler. Admire son audace ; il s’emporte contre Héraclès qui près de lui égorge et dévore un des bœufs de son attelage. Le héros est coutumier d’un pareil repas ; tu as lu dans Pindare comment Héraclès, étant entré sous le toit de Coronos, dévora un bœuf tout entier, y compris les os. Le héros a rencontré Thiodamas à l’heure où l’on dételle les bœufs ; il s’est procuré du feu à l’aide de pierres fort commodes pour cet usage, et le voilà qui fait rôtir

  1. Sur ce sujet d’Héraclès furieux, voir Stephani, Compte rendu de la commiss. arch. de Saint-Pétersb., 1862, p. 120 et Ann. dell Inst., 1864, 289 et 324.