Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/486

Cette page n’a pas encore été corrigée

sommé ; les victimes sont devant l’autel de Jupiter. Dans le {ableau, le tau- reau est encore debout, attendant le coup mortel. Euripide ne parle pas des vases renversés et foulés aux pieds ; mais un pareil désordre n’est-il pas na- turel ? Ne rend-il pas la scène plus vraie el plus présente, en quelque sorte (1) ? Nous ne serons donc pas de l’avis du critique qui prétendait que par là l’artiste détournait l’attention du sujet principal pour la fixer sur des délails. Nous n’aurons même pas besoin de répondre avec un autre que ces objets pouvaient être tenus dans l’obscurité et dans un certain éloi- gnement.

Dans Euripide, un des enfants, atteint d’une flèche dans la région du foie, tombe à la renverse ; l’autre s’affaisse sous un coup de massue qui lui brise le crâne. Dans le tableau, l’arc a servi à tuer l’un et l’autre ; la flèche a tra- versé le gosier du premier, a penétré dans les vertèbres du second. Pourquoi cette différence ? Le poète pouvait expliquer au spectateur qu’un des en- fants ayant couru au devant de son père s’était trouvé trop près pour per- mettre contre lui l’usage de ; ce mouvement de l’enfant, plein de con- fiance dans sa prière, ajoutait d’ailleurs au récit un trait touchant. Si l’artiste avait peint un des enfants percé d’une flèche, l’autre assommé, le spectateur n’eût vu là qu’une différence inexplicable, et s’il avait cherché à se l’expli- quer, cet effort mème eût délruit en partie l’émotion. Il était donc plus simple et plus habile tout à la fois de montrer les deux enfants succombant sous les flèches de leur père qui tenait encore son arc à la main. Peut-être aussi le peintre a-t-il cru qu’un visage d’enfant baigné de larmes, décoloré, mais non déformé par la mort, était plus propre à inspirer de la compassion qu’un crâne brisé. L’art antique, croyons-nous, ne reculait pas devant les scènes d’horreur, du moins à l’époque de Philostrate ; maisil y a quelquefois à gagner même au point de vue de l’émotion, à atténuer l’horreur du spectacle. C’était le cas pour notre tableau (2).

Dans Euripide il n’est point question de l’attitude des serviteurs pendant toute cette scène de meurtre ; mais après la mort des enfants, quand Héraclès, atteint d’une pierre en pleine poitrine et plongé dans le sommeil n’est plus qu’une masse inerte, les serviteurs aident le vieux père du héros à attacher


1) Voir dans Inghirami Galleria Omerica, IL. tav., 91, la reproduction d’un bas-relief étrusque qui représente, selon Inghirami, « une famille troyenne surprise à table par les Grecs », en tout cas, une scène de meurtre pendant un festin. Les urnes, les coupes, les amphores, les cyathes, sont jetés de côté et d’autre. La figure de la page 401 du présent ouvrage est em- pruntée à ce bas-relief.

(2) Rien ne prouve mieux que ces changements l’indépendance de l’art antique. En réalité, il ne relève que de lui-même ; il suit la légende, mais il s’en écarte parfois, sans autre motif pour cela qu’un intérêt esthétique. Ainsi, suivant la Fable, Adonis avait été blessé à la cuisse ; sur tel bas-relief, la blessure est au mollet, ce qui permet à l’artiste de montrer un des chiens du chasseur qui s’approche de la partie malade et la flaire, comme par un sentiment de com- passion. Ailleurs, sur une pierre gravée (Arch. Zeit, 1849. Taf., VI), Philoctète est blessé à la cuisse, non au pied, sans doute pour mieux frapper l’œil du spectateur. Voir Welcker, A4 : Denkm, U, p. 117.