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deux émotions différentes, se renforçant l’une l’autre : la première était un sentiment d’horreur à la vue d’une pareille scène de carnage ; la seconde, un sentiment de cruelle angoisse, à la vue de cet enfant et de cette femme quise sentent perdus. Dans une étude sur Héraclès au repos, Stephani (1) fait remarquer que le moment le plus tragique de toute cette histoire est le re- tour d’Héraclès à la raison, non la scène de meurtre ; qu’ainsi l’avaient fort bien compris non seulement Euripide et Sénèque, mais encore Lysippe et le peintre Néarchos. L’observation ne nous paraît juste qu’en partie ; dans une tragédie, où le poète peut exprimer avec force les sentiments dont le personnage est pénétré, nul doute que les remords d’Héraclès, sa douleur de père, son horreur de lui-même, ne soient très pathétiques ; dans une œuvre d’art, si l’artiste n’a qu’une figure à nous montrer, nous serons plus émus, en voyant un Héraclès, comme celui de Néarchos « abattu par le repentir de sa folie » (2)ou comme celui de Lysippe, pleurant et soutenant sa tête (3) avec sa main, qu’un Héraclès en proie à la fureur ; toutefois, pour être réellement touché, faut-il que le spectateur se retrace par l’imagination les événements qui ont précédé. Si ces événements eux-mêmes sont mis devant nos yeux, l’émotion ne doit-elle pas être plus immédiate, plus prompte à naître, et plus forte ? Ajoutons qu’il nous est plus facile, devant un furieux, de prévoir son repentir que devant un afiligé de nous rappeler à quels excès il s’est em- porté ; si bien que dans le premier cas, notre émotion s’accroît encore de toute la douleur que nous présageons pour le personnage en scène.

Un critique a prétendu que la composition de ce tableau devait prêter au

  • rire ; en effet, dit-il, si Mégara s’est enfermée dans une chambre, elle n’est

plus visible, et l’on n’aperçoit plus qu’Héraclès, dont la fureur en présence d’une porte est tout à fait inintelligible et par suite très ridicule. Le specta- teur voyait sans doute dans le tableau Mégara et le survivant des trois enfants, aussi bien que la porte de la chambre où ils s’étaient réfugiés ; il suffisait pour cela au peintre de représenter une simple cloison, séparant les deux scènes ; cet artifice n’était pas plus inconnu aux artistes anciens qu’aux modernes ; témoin, par exemple, le tableau de la prise de Troie par Polygnote où l’on apercevait, d’un côté, l’intérieur de la ville de Troie, d’un autre, la plaine qui s’étendait de la ville au rivage (4). D’ailleurs, puisque le héros vise son fils, c’est que la porte a déjà cédé à ses efforts.

Les ressemblances comme les différences entre la tragédie et le tableau méritent d’être remarquées. Dans Euripide, le sacrifice n’est pas encore con-

{1) Der ausruhende Herakles, p, 16.

(2 Triste insaniae pænitentia, pl. H. N., 35, 141,

(8) Nicet. Choniat. De signis Constantinop., 5.

(4) Voir une miniat. du manuscrit ambroisien de l’Iliade, Ang. Mai, tab, XLI : Inghir, Ga. Omer. Il., tax. CXXV. Une porte divise la composition en deux parties égales ; d’un côté, les Troyens armés de torches et de pieux s’élancent pour pénétrer dans le camp des Grecs ; de l’autre, les Grecs, mal protégés par la porte, se précipitent en désordre vers leurs vaisseaux.


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