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épouvantable en un pasteur d’églogue, et il est impossible qu’un artiste, entre beaucoup, ne l'ait pas remarqué. Ensuite, tout en admettant un certain rapportentre le Gyclope du tableau et le Polyphème homérique, il n’est point nécessaire de se représenter un monstre de laideur. Polyphème, comme dans les peintures de Pompéï, avait sans doute trois yeux, deux à la place ordi- naire, le troisième au milieu du front; toutefois, comme Philostrate parle d'un œil unique, il est probable qu’il s’agit de l'œil du front, et que deux cavités indiquaient l'emplacement des deux autres yeux. Un masque antique trouvé à Lyon et reproduit par Millin (1), une gemme d'ailleurs assez gros- sière du Musée de Berlin (2), nous montrent que cette manière de représenter Polyphème n’était pas tout à fait étrangère à l’art antique. Dans un groupe en marbre représentant Polyphème et les compagnons d'Ulysse (3), le géant atrois yeux; celui du front, contrairement à l’usage de la statuaire, a la prunelle bien marquée ; les deux autres ressemblent à tous les yeux de sta- lues. Pourquoi un pareil parti n’eût-il pas été adopté par la peinture ? Cela eût été d'autant plus aisé que la peinture a l'habitude de représenter les prunelles; en ne donnant de prunelle qu'à un œil sur trois c'eût été indiquer suffisamment que les deux autres ne voyaient pas. Enfin, si Polyphème est velu, il est à remarquer qu'il ne l'était peut-être pas sur toutes les parties du corps, et qu’enfin la peinture, la sculpture même nous offrent des exem- ples analogues : ici ce sera un Pappo-Silène, là un géant, là un centaure (4). Ce qui eût été laid et insoutenable pour les yeux, c'eût été un corps humain entièrement velu ; des touffes de poils, habilement disposées, laissant paraître les plans les plus étendus, les muscles les plus importants du corps, de- aient plaire comme moyen de contraste et comme expression de la force, sans nuire à la beauté de l'ensemble. D'ailleurs, comme nous croyons l'avoir montré dans l'Introduction, à propos des représentations mêmes de Po- lÿphème, la beauté d’un même personnage ne reste pas la même à toutes les époques de l’art ; vrai pasteur d’idylle dans tel tableau, ailleurs le cyclope est un paysan aux formes lourdes et à l'aspect demi-sauvage.

Des commentateurs convaincus que le Polyphème des poèles ne pouvait êlre en aucun cas celui des artistes, ont imaginé que Philostrate avait décrit Polyphème, non d’après letableau qu'ilavaitsous les yeux, maisd'aprèsses sou- venirs de lettré. Les mêmes critiques veulent exclure de la composition les Cy- clopes semant et récoltant. C’est l'imagination de Philostrate, disent-ils, qui a peuplé l'ile de Polyphème. Ces deux suppositions nous paraissent aussi in- sraisemblables l'une que l'autre. Pour les Cyclopes, le texte est précis; le tour

QG) Millin, G. M, pl. CLXXIY, n° 631,

(2) Tülken, IV, n° 385,

(8) Overb., die Bildw., p. 165, n° 17, Taf. XXI, n° 19.

(4) Voir un Faune ct un Silène, Antig. d’Hercul., J, 111, 175; un géant, Bullet. Nop., Il, t: 6; un centaure femelle, Ant. d'Herc., I, 97 et les centaures d'Aristeas et Papias au musée du Capitole.