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porte la main sur une bacchante. Celle-ci ne daigne pas tourner les yeux vers lui, c’est Dionysos qu’elle aime, que son imagination lui représente, et qu’elle voit, bien qu’absent ; aussi le regard de la bacchante est-il comme fixé sur l’espace, et ne laisse pas de réfléchir une pensée amoureuse. Plus loin, la nature en rapprochant les montagnes, a formé une île couverte d’épais fourrés et de forêts, où l’on distingue le cyprès élevé, le pin, le sapin, le chêne et le cèdre, car chaque arbre a été représenté avec le caractère qui lui est propre. Cette île est peuplée de sangliers et de cerfs que des chasseurs poursuivent, armés les uns de lances, les autres de flèches ; les plus hardis ont l’épée courte et la massue pour combattre de près. Ces filets que tu vois sont tendus à travers les halliers pour envelopper, enlacer ou arrêter le gibier ; et déjà certaines bêtes sont prises, d’autres combattent, d’autres ont terrassé leur adversaire. Aucun des chasseurs, aucun bras ne reste inactif, les chiens mêlent leurs aboiements aux cris des hommes ; Echo elle-même semble partager l’ivresse de la chasse. Des bûcherons abattent de grands arbres qui jonchent le sol ; l’un a la hache levée, l’autre a déjà frappé ; l’autre aiguise sa cognée émoussée par un long usage ; celui-ci considère un sapin pour savoir s’il peut en faire un mât de navire ; l’autre abat des jeunes arbres bien droits, pour les façonner en rames. Quant à cette roche escarpée, à cette bande de mouettes rangées autour d’un autre oiseau, voici quelle a été la pensée de l’artiste en les peignant. Les hommes font la guerre aux mouettes, non point à cause de leur chair qui est noire, malsaine et de mauvais goût, même pour celui qui a faim, mais parce que leur ventre fournit un remède dont se servent les médecins pour rendre à leurs malades l’appétit et la souplesse des organes. Comme elles cèdent aisément au sommeil et que les chasseurs les prennent la nuit en les éblouissant par l’éclat de la lumière, elles s’adjoignent le céyx qui, moyennant une part dans le butin, prévoit et veille pour elles. Le céyx est aussi un oiseau de mer, mais insouciant, paresseux, de peu d’entrain pour la chasse ; d’ailleurs il résiste au sommeil et dort peu. C’est pourquoi il loue ses yeux aux mouettes. Quand celles-ci se mettent en quête de leur nourriture, il fait sentinelle au logis, c’est-à-dire sur le rocher ; le soir elles reviennent, lui apportent la dixième partie de leur chasse, puis elles s’endorment rangées autour de leur gardien qui ne dort pas et qui ne se laisse vaincre par le sommeil que quand elles le veulent bien. Sent-il approcher quelque piège, il pousse un cri aigu et perçant, et toutes, à ce signal, s’enlèvent et fuient soutenant leur gardien de peur que ses forces ne le trahissent en volant.