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par une espèce de croissant ; il est devenu assez semblable à un de ces tri- tons que nous rencontrons si fréquemment sur les monuments figurés, ct qui, loin de nous paraître des monstres, nous semblent réunir heureusement les grâces de deux espèces différentes. Toutefois, entre le Glaukos informe que se représentait vaguement l'esprit superslilieux des marins, et le Glaukos ennobli et embelli de l’art, les monuments nous offrent des images de Glau- kos qui tiennent l'entre-deux et relient, pour ainsi dire, les deux conceptions. On croit avoir retrouvé une de ces amulettes dont nous parlions plus haut (1). Sur un corps de poisson couvert d’écailles épaisses et serrées, terminé par une queue qui se replie sur elle-même, muni en avant de pattes palmées et en arrière de nageoires, s'élève une tête humaine surmontée d'un diadème qui ressemble à une crête de coq. Si c'est là Glaukos, comme le pensait Wel- cker et Gædechens après lui, c'est le Glaukos le plus rapproché de la légende primitive; c’est le premier effort de l’art pour donner une forme à l'être ima- giné par la superstition populaire. Ailleurs nous voyons sur les monuments un monstre composé non seulement d’un buste à forme humaine et d’un corps pisciforme, mais aussi de gueules de loups et de chiens qui tiennent aux flancs (2). Est-ce là Glaukos ? Les archéologues ont cru reconnaitre dans cet être hétérogène l'amant de Scylla qui, elle aussi, a le corps enté d'une meute inguinale. Ailleurs enfin Glaukos a tout à fait le masque de Silène, les longues oreilles et la tête chauve (3). Le Glaukos décrit par Philostrate est le Glaukos de l'art parvenu à son entier développement; le Glaukos conçu comme dieu prophélisant, non comme divinité de la vague hurlante et dévo- rante ; aussi point d'écailles ; point de têtes de chiens ni de loups; point de longues oreilles ; point de traits grimaçants; toutefois pour mieux peindre sa force, pour caractériser l'habitant des mers, l'artiste nous le représente tout velu et tout hérissé d'algues et autres herbes marines. Ces traits et les au- tres concordent d'ailleurs avec ceux que nous rencontrons sur les monu- ments : sa barbe est souvent ruisselante ou détendue par l’eau qu'elle con- tient ; si elle ne se charge pas de plantes marines, elle en affecte elle-même la forme onduleuse, l'aspect gras et compact (4) ; les sourcils se rejoignent ; ici plus sauvage, là d'expression plus douce, il paraît toujours puissant et robuste ; s’il tient une rame ou un trident, on sent qu'il doit manier l’un ou l'autre avec une force peu commune; s'ilne tient rien, on est tenté de dire avec Philostrate que ses bras sont faits pour briser la résistance des vagues.

S'il faut en croire les archéologues les plus autorisés, l'art antique, pour- suivant son évolution du type de Glaukos, aurait fait de cette divinité, informe d'abord, composée ensuite de trois natures, un être semblable à l'homme de

(1) Recueil des antig. el monum. marseillais, 1713, pl. XXV, 3. Cf. Gædechens, ouvr. déjà cité, P. 185.

(2) Par ex. un cratère du Musée de Naples. M. Borb., XII, t. 57. Cf. Gædech., p. 130.

(8) Miroir du musée de Bologne. Gædech., p. 158.

(3) Mosaïque de Carth., Mon. d. Inst, V, 38. Gwdech., p. 181.