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ses replis se glisse un gardien au regard terrible, un dragon qui ne connaît point le sommeil. Jason commande le navire, en sa qualité de promoteur de l’entreprise. Le pilote est Tiphys, le premier homme qui, dit-on, ait osé pratiquer un art suspect. Lynceus, fils d’Apharée, se tient à la proue ; doué d’un regard perçant qui voit de loin et distingue sous les flots à une grande profondeur, il aperçoit, le premier, les rochers cachés ; le premier, il salue la terre apparaissant à l’horizon. Mais en ce moment les yeux de Lyncée expriment l’épouvante, à l’approche d’une vision qui suspend les rames dans les mains de cinquante rameurs. Héraclès seul habitué aux spectacles étranges, n’est point ému ; mais je me trompe bien si pour les autres ce n’est point un prodige ; ils ont en effet devant les yeux Glaukos, le dieu marin. Glaukos, dit la fable, habitait autrefois l’antique Anthédon ; il goûta un jour je ne sais quelle herbe du rivage ; surpris et emporté par le flot, il descendit aux lieux qu’habitent les poissons. Il prophétise quelque grand évènement, car il excelle en cet art. Quant à son aspect, les poils frisés de sa barbe sont humides et blancs comme l’écume de l’eau jaillissante ; sa chevelure retombe en lourdes tresses, et verse sur ses épaules l’eau dont elle est chargée, ses sourcils épais se rapprochent de manière à n’en faire qu’un. Quel bras robuste ! on voit qu’il a lutté contre la mer frappant sans cesse les flots et les aplanissant pour mieux nager. Admire cette poitrine couverte par endroits de poils qui ont retenu l’algue et les mousses ; le ventre ne répond point au reste du corps ; il se replie au-dessous du buste. Car Glaukos finit en poisson, comme le prouvent les deux queues qui se redressent et se retournent vers la hanche ; chacune d’elles est terminée par un croissant qui brille d’un éclat voisin de la pourpre. Autour de lui chantent en courant des Alcyons, autant pour célébrer les actions de la race humaine dont ils ont fait partie, eux et Glaukos, sous leur première forme, que pour montrer leur voix à Orphée, leur voix qui est la musique de la mer.



Commentaire.


Un pêcheur d’Anthédon, en Béotie, ayant mangé une herbe merveilleuse se précipita dans la mer et devint un dieu marin. Il s’appela Glaukos, nom qui semble avoir désigné, surtout dans le principe, la clarté et la transparence de l’eau, miroir de la voûte azurée. En souvenir de son ancienne origine il fut le dieu des pêcheurs qui lui adressaient des prières et portaient sur eux son image comme amulette. On devine assez que le dieu ne put exaucer tous les souhaits ; aussi, s’il passa pour une divinité bienveillante, il fut considéré quelquefois comme un démon hostile, dont on redoutait l’apparition et que