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nécessaires pour ouvrir au Pénée une issue plus large ; Welcker se trompe en repoussant cette supposition comme contraire à la dignité d’un dieu: ce qui serait indigne de Poseidon, ce serait d'entreprendre sans réussir, de briser par exemple les pointes de son trident contre les rochers ; ce n'est point ici le cas. Poseidon n’a point travaillé en vain ; son œuvre n'est pas achevée, mais on voit bien qu’il est de force à l’achever, le trident peut bien d'un seul coup abattre la saillie d’un rocher sur lequel Ajax s’est réfugié, comme dans le tableau précédent; mais, quand il s’agit de creuser une vallée sur une longueur de quarante stades et une largeur d'un plèthre entre deux monta- gnes qui sont, dit Elien, d’une merveilleuse hauteur (4), on conçoit que le tident se reprenne à deux fois. En admettant l'objection de Welcker, ce n'est pas un second coup qui serait contraire à la dignilé du dieu, ce serait l'emploi mème du trident. En effet, pourquoi un ordre de sa bouche ne suf- firait-il pas? Nous retomberions ainsi dans l'explication de Philostrate que Welcker rejette comme trop subtile.

Les détails donnés par Philostrate confirment d’ailleurs notre interpréta- tion. Si la transformation de la contrée est en voie de s’accomplir, le paysage doit participer à la fois de l'aspect primitif et de celui qu'il aura plus tadr. Or, que dit Philostrate ? Il nous apprend d’abord que la peinture est égyptise, c’est-à-dire qu’elle ressemble à un de ces paysages antiques où l'œil ne ren-


contre guère que de l'eau, des roseaux et des animaux aquatiques; puis il

nous parle de la joie du dieu à la vue des plaines unies el spacieuses comme la mer. Dans sa dernière phrase, confondant à la fois la contrée et la divinité allégorique qui sans doute la représentait, il nous dit que la Thessalie, émer- geant à mesure que les eaux s’abaissaient, se couronnait d'oliviers et d’épis. La Thessalie n'était donc ni tout à fait une plaine ni tout à faitun marécage; Brunn (2) a raison quand il compare cette peinture à la mosaïque de Pales- trina où quelques îlots apparaissent çà et là au milieu des eaux débordées du Nil (3).

Nous ne reviendrons pas sur l'attitude du dieu qui nous paraît suffisam- ment décrite par Philostrate, et que nous avons déjà rencontrée dans le tableau des Gyres. Le Poseidon Pétræos, c’est-à-dire le dieu qui fend les rochers, le dieu de la légende thessalienne, n'est pas toujours ainsi repré- senté sur les monuments figurés. Un scarabée de Vulci (4) nous montre un Poseidon appuyant fortement le pied droit sur un rocher et de ses deux mains, posées sur la crête même, cherchant à écarter deux blocs déjà dis-

(1) Elien, II, et Pline l'Anc., #. N., IV, c. vm.

(2) Jahrb. de Fleckeisen, 1871, p. 31.

(3) On remarquera que nous emprantons à Philostrate lui-même les preuves de l'interpréta- tion que nous substituons à la sienne. La contradiction qui existe entre les traits de la des- cription et l'intention attribuée au peintre par le rhéteur, n'est-elle pas, pour la peinture clle- même, une présomption d'authenticité ? 11 y aurait accord, si Philostrate avait tout inventé.

(4) Cadès, bapr, di M. gemm., cent. I, n° 3. Müll.-Wies., I 74.