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eau d'ou provienf-elle? ce sont les larmes des Naïades, disent les funs; c’est leur sang, disent les autres; l'eau est le véritable sang des Naïades, elles le font couler en se déchirant. Ne serait-il pas plus simple de penser que cette eau est celle même qu’elles représentent, celle de la source ou du ruisseau dont elles sont les divinités; elles viennent de se soulever; leur corps est encore humide; leurs cheveux sont ruisselants, l'eau en coulant sur leur poitrine paraît sortir de Jeur sein. Il pourrait se faire d'ailleurs, sans trop d’invraisemblance, que l'artiste eût voulu nous montrer les ruisseaux et les sources, comme s’échappant des seins mêmes des Naïades; l’idée est un peu singulière sans doute, l'image ne se rencontre pas ailleurs dans l'art antique : cependant ni l'image ni l'idée ne nous paraissent de nature à avoir effrayé un artiste ancien.

Welcker que les Scopiai de Philostrate ne surprennent pas, ne peut croire que les prairies fussent personnifiées. On rencontre, dit-il, des figures quireprésen- tent des fleuves, des montagnes, des villes, mais non des prairies. L'artiste avait peint une terre couverte d'herbe et de fleurs; ce sont-là les prairies que décrit Philostrate. 1 dit, il est vrai, que ces prés avaient une beauté de jeu- nes gens; mais cela signifie qu’ils étaient fleuris comme au printemps. Pour notre part, nous ne voyons pas pourquoi les artistes anciens n'auraient pas personnifié les prairies, comme les montagnes, comme les rivages. Et de fait, les prés ont été reconnus, depuis Welcker, sur une peinture de Pompéi qu'Helbig dans son catalogue a intitulé le « Mariage de Jupiter » (A) et dont il décrit ainsi les trois personnages symboliques : « Au pied du rocher sur lequel Jupiter est placé sont assis sur le gazon trois jeunes gens aux formes délicates, notablement plus petits que les autres personnages, couronnés tous trois de lauriers et de primevères, sans doule des Zeimones (prairies) mis là pour indiquer l'heureuse et subite fécondité de la nature, qui, selon le poète, signala à l'univers la conclusion du mariage sacré. » Enfin les pein- tures de l'Esquilin semblent avoir été retrouvées pour confirmer la des- cription de Philostrate : une d'elles nous montre, sous la figure de femmes, des Nomai ou pâturages ; et ce ne sont pas les commentateurs modernes qui, faute de mieux, ont ainsi désigné des personnages énigmati- ques; le peintre a pris soin d'écrire leur nom au-dessus de leurs têtes, afin que le spectateur antique, si habitué qu'il füt à ces sortes de représenta- tations, ne pût se méprendre sur la qualité et le rôle d'un groupe. Pour reve- nir au tableau de Philostrate, le rhéteur aurait-il nommé les prairies entre les Naïades elles Scopiai, les aurait-il décrites à cette place, si elles n’eus- sent été personnifiées? Cela semble fort peu probable. Quant aux fleurs qui se flétrissent, ce sont celles, si l'on veut, qui composent la couronne des trois jeunes gens; sans doute le texte de Philostrate n’est pas assez précis ; il per-

(1) Helbig, Wandg., n° 114.