Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/383

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

combattre. Combien de fois retrouvons-nous ce geste dans la frise du temple de Thésée qui représentait la lutte des Lapithes et des Centaures ! Une peinture[1] nous montre également, à côté de Scylla armée d’un gouvernail, deux centaurides qui tiennent chacune une pierre dans une main et se préparent à la lancer. L’attitude était donc comme indiquée à notre peintre par la tradition, mais en plaçant cette pierre dans la main d’un enfant, en montrant cette main levée contre une mère, l’artiste a fait d’un trait vulgaire un trait qui caractérise ici à merveille la précoce insolence de cette race issue d’Ixion.



IV

Hippolyte.


Docile aux inspirations de Thésée, ce monstre s’est jeté sur les chevaux d’Hippolyte, il ressemble par la forme à un taureau, par sa couleur verdâtre aux dauphins. Il a été vomi par la mer pour servir une injuste vengeance. Phèdre, belle-mère d’Hippolyte, a faussement accusé le jeune homme prétendant être aimée de lui, lorsque c’était elle qui l’aimait, et Thésée trompé par cette calomnie a fait contre son fils un vœu dont tu vois l’accomplissement. Les chevaux hérissent leur crinière affranchie du joug ; ils ne piaffent pas comme des chevaux superbes et maîtres d’eux ; ils sont éperdus, en proie à la terreur. Dans la plaine qu’ils blanchissent de leur écume, l’un en fuyant, se retourne vers le monstre, l’autre se précipite sur lui, l’autre le regarde d’un œil farouche, l’autre s’élance vers les flots comme s’il s’oubliait lui-même et la terre avec lui ; tous, les narines au vent, poussent des hennissements aigus que la peinture a rendus sensibles. Des roues du char, l’une a perdu ses rayons fracassés par le poids du char qui est tombé sur elle, l’autre chassée de son essieu roule encore dans la plaine, emportée par son élan. Saisis d’un même effroi, les chevaux des compagnons d’Hippolyte ont démonté leurs cavaliers, ou les entraînent au hasard, malgré leurs efforts désespérés. Quant à toi, jeune homme, ton amour de la sagesse t’a livré en proie à l’injustice de ta belle-mère, à l’injustice plus atroce de ton père. La peinture gémit sur toi, elle aussi ; elle est comme une espèce de lamentation poétique, de plainte funèbre, composée en ton honneur. Les hauteurs escarpées sur lesquelles tu chassais en compagnie de Diane nous apparaissent sous les traits de femmes qui se déchirent les joues ; ces jeunes gens représentent les prés, purs de toute profanation, comme tu les nommais ; par compassion pour toi, leurs

  1. Müller-Wieseler, D. d. a. K., II, no 593. — Gori, Mus. Etr., II, 154.