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parle point de Baton, et quant à Amphiaraos, il n’a de nu que la tête. Sur le monochrome d’Herculanum[1], Amphiaraos, coiffé du casque, n’a pour tout vêtement qu’une chlamyde qui s’enroule autour de son cou ; il tourne la tête en arrière et semble mesurer la distance qui le sépare de l’ennemi. Sur un bas-relief de la villa Pamphili, d’époque romaine[2], Amphiaraos est armé de toutes pièces, et Baton ne se tient pas à ses côtés. La différence la plus grande entre tous ces monuments et notre tableau est celle-ci : Philostrate nous dit qu’Amphiaraos a déjà le regard d’un homme divin, d’un prophète ; nous ne retrouvons nulle part cette expression. Sur les monuments que nous avons cités, Amphiaraos est un guerrier semblable à tous les autres : rien ne fait pressentir qu’il sera un jour l’oracle de la Grèce. Pourquoi cette différence ? c’est que sans doute les monuments qui nous sont restés ne nous représentent point Amphiaraos sur le point de s’abîmer dans la terre entr’ouverte, mais bien quittant le champ de bataille et poursuivi par l’ennemi ; c’est encore un des sept chefs devant Thèbes ; il est déjà un devin, puisqu’il l’était avant de quitter Argos ; mais ce n’est point son seul caractère. Dans Philostrate au contraire, le guerrier s’évanouit, le devin reste ; il va prendre possession de son sanctuaire ; l’air martial doit faire place à l’air inspiré.



XXVII

La chasse au sanglier.


Ne nous devancez pas, vous qui chassez : ne poussez pas vos chevaux à toute bride, avant que nous n’ayons deviné quel est votre dessein, et quelle bête vous poursuivez. Vous allez courre un sanglier, dites-vous, et en effet, je vois le dégât commis par l’animal ; il a déraciné les oliviers, il a coupé les vignes ; il n’a laissé debout ni un figuier ni un pommier, ni un seul arbre à fruit ; il a tout dévasté, fouillant ici la terre, se ruant là, frottant son corps contre les plantes ; je le vois qui hérisse ses soies, qui jette le feu par les yeux ; je perçois le bruit de ses dents qu’il aiguise contre vous, braves chasseurs ; car ces animaux ont une ouïe merveilleusement fine pour entendre de loin le bruit d’une troupe en marche. La beauté de ce jeune homme vous a séduits ; et vous les poursuivants, vous êtes vraiment ses captifs ; et pour lui vous vous jetez au-devant du danger. Pourquoi, en effet, êtes-vous si près de lui, au point de le toucher ? Pourquoi vos yeux sont-ils tournés sur lui seul ? Pourquoi vos chevaux sont-ils ainsi serrés les uns contre les autres ? Mais quoi ? voilà que l’illusion est complète ; je crois voir, non

  1. Ibid., VI, 7.
  2. Welcker, Alte Denkm, II, Taf. X, 16 ; Annali dell’ Institut., XVI, tav. d’agg. Overbeck, die Dildw., p. 146, no 11.