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vent à le reconnaitre, et sans lesquelles il ne serait plus qu’un roi barbare quel- conque. C’est toujours le même principe ; l’art grec cherche ses avantages ; pour les atteindre, il n’hésite pas à confondre les temps et les dates.

On peut se demander comment de longues oreilles pouvaient contribuer à rendre plus douce l’expression de Midas. Pour avoir de longues oreilles pointues, semblables à celles des boucs, les Faunes ou Pan ne perdent rien de leur air sauvage et souvent railleur. Jacobs conjecture avec quelque vraisemblance qu’entre la figure de Midas et la tête d’un âne il y avait d’autres traits communs que les oreilles ; très probablement, l’artiste, songeant à l’ignorance de Midas, avait poussé le châtiment plus loin qu’Apollon ; outre les oreilles, il lui avait donné encore des yeux somnolents, presque sans regard. Ainsi dans le célèbre dessin de Raphaël d’après Apelle, l’Ignorance assise sur son trône ne se reconnaît pas seulement aux oreilles d’âne, elle a le front bas, le regard incertain, le sourire banal, tous signes de la crédulité et de la sottise.


XXII

Narcisse.


Cette source reproduit les traits de Narcisse, comme la peinture reproduit la source, Narcisse lui-même et son image. Le jeune homme, de retour de la chasse, se lient debout près de la source, soupirant pour lui-même, épris de sa propre beauté, illuminant l’eau, comme tu vois, de sa grâce éclatante. Quant à cet antre, c’est celui d’Achéloos et des nymphes(a). La vraisemblance a été observée : car on y voit des statues grossièrement sculptées dans une pierre qui provient du lieu même ; les unes ont été rongées par le temps ; les autres ont été mutilées par des enfants de bouviers ou de pâtres, qui, en raison de leur âge, ne sentent pas encore la présence du dieu. Elle n’est point non plus étrangère au culte dionysiaque, cette source que Dionysos a fait comme jaillir pour les bacchantes. La vigne, le lierre, le lierre hélix aux belles vrilles(b), y forment un berceau chargé de grappes de raisins, entremêlé de ces férules qui donnent les thyrses(c) ; au-dessus d’elle, prennent leurs ébats des oiseaux qui gazouillent mélodieusement, chacun à sa façon. Des fleurs, nées près de l’eau, en honneur du jeune homme, ne font que d’entr’ouvrir leurs blanches corolles ; fidèle à la vérité, la peinture nous montre la goutte de rosée suspendue aux pétales : une abeille se pose sur la fleur ; je ne saurais dire si elle est trompée par la peinture, ou si ce n’est pas nous qui nous trompons en croyant qu’elle existe réellement. Mais soit, il y a erreur de notre part. Quant à toi, à jeune homme, ce n’est pas une peinture qui cause ton illusion ; ce ne sont pas