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ployé que des traits légers et des couleurs discrètes pour représenter les nymphes, et aurait si bien réussi que Philostrate, à la vue de ce tableau, n’aurait pas songé à jeter sur les nymphes plus qu’un regard fugitif. Nous doutons un peu de la vérité de cette explication. Les nymphes, sans doute celles de la source, ne devaient pas être très éloignées du satyre ; puisqu’elles étaient là pour le braver, elles s’étaient sans doute approchées de lui aussi près que, dans Virgile, les Faunes et la naïade Églé de Silène, qui se réveille barbouillé du jus de la mûre. Des lors, toute perspective aérienne devenant inutile, il n’y avait pas lieu, ce semble, de nous montrer les nymphes sous forme de fantômes, comme si elles avaient dû être vues dans le lointain. En réalité ce qui, dans ce tableau, captive Philostrate, comme l’enfant à qui il s’adresse, c’est le satyre, c’est Midas, et cela est si vrai qu’il s’étudie à expli- quer pourquoi les satyres en général — et non pas seulement le satyre du tableau — plaisent ordinairement dans les représentations de l’art. La lé- gende aussi, plus que les nymphes, avait de l’attrait pour Philostrate ; la Vie d’Apollonius et les Héroïques nous le montrent épris de tout ce qui est mer- veilleux, et en même temps curieux des aventures qui cachent un sens phi- Josophique. Il aime ce satyre, croyons-le bien, et pour la manière dont il à été endormi, et pour ses formes étranges et pour les mots qui, à son réveil, sortiront de sa bouche ; ces mots, il est vrai, il ne les rapporte pas ; il se souvient à temps qu’il ne fait pas œuvre de philosophe, mais ce double intérêt qu’il éprouve pour le satyre l’empêche de s’arrêter longtemps contempler les nymphes qui sont ici des personnages épisodiques. Quant à la descrip- tion des satyres, elle paraît d’une entière exactitude, et peut aisément se vérifier par l’examen des nombreux monuments qui représentent ces sortes de divinités agrestes.

Le satyre, nous dit Philostrate, dormait étendu près de la source qui l’a- yait enivré. Apollonius de Tyane, lui aussi, traversant un bourg de l’Éthio- pie, avait endormi un satyre. Le thaumaturge, suivant Philostrale, versa quatre amphores égyptiennes dans l’abreuvoir du bétail, et invita le satyre à venir y boire, en ajoutant quelques menaces secrèles. Le satyre ne parut pas aux yeux des assistants ; mais le vin diminua de manière qu’on vit bien que quelqu’un le buvait. Lorsqu’il fut épuisé, Apollonius dit : Maintenant faisons la paix avec le satyre, car il dort. Et, après avoir dit ces mots, il con- duisit les habitants du bourg vers l’antre des nymphes qui était à une dis- tance d’un plèthre ; là il leur montra le satyre endormi… (1). L’aventure, toujours merveilleuse, l’est moins dans notre tableau que dans ce récit de Philostrate ; le satyre est venu là où le vin a été mêlé à l’eau : et il s’est en- dormi au même endroit. Ainsi comprise, la composition du tableau était plus simple et plus claire que si le peintre eût représenté Midas versant le vin dans un endroit, et le satyre endormi dans un antre éloigné.

(1) Vie d’Apotlonius, NI, 21, traduction Chassang.